L'Épée Démoniaque (3)

Ceci est une histoire qui s’est déroulée dans le passé.

Dans une région montagneuse, des cadavres froids étaient empilés les uns sur les autres.

Les corps comprenaient des membres des factions orthodoxes et non orthodoxes ainsi que des humains démoniaques. Et au milieu de ces cadavres se tenait Namgung Bi-ah, tenant son épée et levant les yeux vers le ciel.

« Épée Démoniaque »

Namgung tourna lentement son regard vers moi en entendant mon appel.

Elle paraissait encore plus effrayante qu’elle ne l’était déjà à cause des gouttes de sang éclaboussées sur ses joues blanches.

Et puis, il y avait ses yeux. Ces yeux noirs dépourvus d’émotions.

Regarder ces yeux, c’était comme regarder dans un abîme.

« Tu es la seule survivante, tu les as tous tués ? »

Toutes les blessures d’épée sur les corps, tant des artistes martiaux que des humains démoniaques, semblaient provenir de Namgung Bi-ah elle-même.

Pendant le combat, elle avait tranché tout ce qui se dressait sur son chemin, allié ou ennemi.

Après avoir été témoin de cette scène, je pris la parole.

« Je t’ai dit qu’on n’avait pas beaucoup de temps, alors qu’est-ce que tu fous ? »

En entendant mes mots, Namgung Bi-ah se mit à marcher vers moi, son épée trempée de sang se démarquant nettement à mesure que la distance se réduisait.

Elle ne semblait pas vouloir me tuer, mais ce qui rendait Namgung Bi-ah si dangereuse, c’était justement qu’elle ne montrait jamais la moindre intention meurtrière.

Jamais.

Un être humain qui ne laissait jamais ses émotions troubler son cœur.

C’est ce qui faisait d’elle une épéiste aussi effrayante.

Namgung Bi-ah, maintenant juste devant moi, essuya le sang sur sa joue et parla.

« Il n’y avait rien ici. »

« Ouais, parce que tu as tout effacé. »

Swoosh.

Un mouvement soudain du bras de Namgung Bi-ah fit éclabousser tout le sang sur le sol — sa lame, auparavant ensanglantée, était désormais parfaitement propre.

Un arc gigantesque d’énergie suivit son mouvement, le vent se soulevant violemment pendant un bref instant.

Namgung Bi-ah me posa alors une question.

« Qu’a dit le chef ? »

« Il m’a ordonné de te ramener, en disant que tu allais probablement péter un câble comme une folle. »

« La seconde partie, c’est ce que tu voulais vraiment dire ? »

« Je suppose que tu as encore un brin de lucidité pour remarquer ça. »

Namgung Bi-ah avait perdu la tête, et ce, à cause de son épée.

Elle rengaina son épée après l’avoir nettoyée, puis se remit en marche.

Je soupirai en la regardant.

« Tu vas dans la mauvaise direction, Épée Démoniaque. »

« …C’est par où déjà ? »

« À gauche. »

« Ah… »

« …Voilà. »

Namgung Bi-ah trouva enfin le bon chemin après que je l’aie corrigée plusieurs fois.

Une experte qui venait de tuer des centaines de personnes ici-même, affichait maintenant un air stupide.

C’était vraiment étrange de la voir plonger dans des groupes d’artistes martiaux et les découper avec une facilité déconcertante, alors qu’elle faisait parfois des choses aussi idiotes.

Épée Démoniaque,

Ce nom lui allait vraiment bien.

Namgung Bi-ah, qui marchait lentement, s’arrêta soudainement.

« Hé. »

« Quoi ? »

« L’Empereur de l’Épée doit être fort, non ? »

« …Vu que tu poses une question aussi absurde, j’ai été trop rapide à penser qu’il te restait un soupçon de bon sens. »

Je m’arrêtai aussi, forcé de cesser mes pas. Puis je lui répondis sèchement.

Je lui parlais avec un ton sévère, car elle semblait avoir des pensées étranges.

« Je vais être sympa pour une fois et te rappeler, au cas où tu aurais oublié : ne fais rien qui dépasse tes limites ; l’Empereur de l’Épée est réservé à notre chef– »

« Comment serait l’épée de l’Empereur de l’Épée ? »

« Pfff… Cette folle… »

Je secouai la tête et tournai les talons, reprenant ma marche.

Après quelques pas, je remarquai que personne ne me suivait. Je me retournai alors et vis Namgung Bi-ah marmonner dans son coin, en train de partir dans la mauvaise direction.

« … »

Je dois vraiment la stopper ?

Je réfléchis un instant.

Je ramassai un caillou au sol et le lançai vers Namgung Bi-ah, y insufflant un peu de mon Qi pour viser parfaitement sa tête.

Le caillou tomba au sol à mi-chemin, tranché en deux.

« Tu veux te battre ? »

Namgung Bi-ah me fixait droit dans les yeux, son épée déjà dégainée.

C’était le seul moment où Namgung Bi-ah montrait des émotions.

Son Qi avait commencé à oppresser les environs, ce qui me fit ressentir une vive douleur dans tout le corps.

Je me frottai le visage pour apaiser l’inconfort et lui parlai.

« Tu vas dans la mauvaise direction. »

« …Oh ! »

En entendant mes mots, elle rengaina rapidement son épée, et son Qi oppressant disparut aussitôt.

Quelques secondes plus tard, Namgung Bi-ah, qui semblait enfin avoir trouvé le bon chemin, s’arrêta de nouveau.

Elle semblait tiraillée par ses pensées.

« Qu’est-ce qu’il y a maintenant ? »

« J’y ai réfléchi. »

« À quoi ? »

« Ce n’est pas le bon chemin, peu importe comment je réfléchis. »

Namgung Bi-ah, après avoir dit cela, disparut de mon champ de vision. Je me frottai à nouveau le visage, cette fois de frustration.

« …Ce n’est pas le bon chemin non plus, idiote… »

J’étais arrivé à destination en moins d’une journée,

Et Namgung Bi-ah, qui m’avait laissé derrière, arriva quatre jours plus tard.

__________

Tous les regards se tournèrent vers moi après mon cri.

Les yeux de Namgung Bi-ah, en particulier, étaient vraiment effrayants.

Mais cela ne faisait que renforcer mon désir de ne jamais m’impliquer avec elle, même si je devais en mourir.

Le nom de Namgung, l’un des quatre grands clans ? Sa beauté ? Son talent au sabre ?

Tout cela m’importait peu.

Le fait qu’elle soit une psychopathe annulait automatiquement tout avantage qu’elle aurait pu avoir.

« …Jeune maître ? »

Muyeon me regarda, déconcerté par le fait que je m’étais soudainement précipité en criant des injures.

Je voulais de tout cœur me taire, mais c’en était trop pour moi.

Namgung Bi-ah me demanda en me regardant :

« Êtes-vous le chef de cette caravane ? »

Un frisson me parcourut la peau dès que j’entendis sa voix.

Devais-je lui répondre ?

Namgung Bi-ah, se moquant bien que je réponde ou non, s’inclina devant moi.

« Je suis Namgung Bi-ah du clan Namgung. Si cela ne vous dérange pas, que diriez-vous de voyager ensemble jusqu’au Sichuan— »

« Non, nous n’allons pas au Sichuan, et oui, cela nous dérangera. »

Les yeux de tout le monde s’écarquillèrent face à mon refus immédiat, et Namgung Bi-ah pencha légèrement la tête.

On aurait dit qu’elle ne s’attendait pas à une telle réponse.

Je suppose que personne de sain d’esprit ne refuserait une demande venant du clan Namgung, mais j’avais encore des choses à dire.

« Nous ne pouvons pas être absolument certains que vous venez bien du clan Namgung, et il est dangereux d’accepter un artiste martial dans notre groupe sans connaître sa véritable identité. »

Ses cheveux bleu clair, ses vêtements bleus portant l’écusson du clan Namgung montraient clairement qu’elle en faisait partie, mais mon raisonnement ne pouvait être contredit.

Je ne l’accepterais pas, quoi qu’il arrive.

Après mon refus, Namgung Bi-ah dit « Ah… » et hocha la tête.

Puis, elle dégaina soudainement son épée.

Muyeon, qui la surveillait attentivement pendant que je parlais, fut le plus rapide à réagir et se mit immédiatement en position de combat.

Mais Namgung Bi-ah resta simplement là, les yeux clos.

Je ne pus dissimuler ma nervosité face à cette scène familière.

cette folle ne va quand même pas…

Tout d’abord, le flux d’air changea.

J’eus l’impression de me tenir sur des milliers de lames plutôt que sur le sol, et l’air autour de moi semblait à un souffle de me déchiqueter.

Cette sensation m’était terriblement familière, en raison de mon ancienne vie aux côtés de cette folle furieuse.

Quelques secondes plus tard, elle ouvrit lentement les yeux.

Au moment où elle ouvrit les yeux, son Qi effrayant se propagea instantanément, engloutissant les environs.

Les quelques gardes qui s’étaient relâchés dégainèrent immédiatement leurs épées en sentant ce Qi.

Cependant, avant que n’importe quelle lame ne l’atteigne, le Qi de Namgung Bi-ah disparut soudainement.

Plusieurs épées la menaçaient alors, mais le calme de son visage au milieu de tout cela était une vision purement démente.

L’apparition du Roi de l’Épée.

La prestance et la fierté du clan Namgung se reflétaient dans cette frêle jeune femme.

« Je ne l’ai pas encore totalement maîtrisé, donc c’est tout ce que je peux montrer pour l’instant, mais j’espère que cela a suffi à prouver mon identité. »

Namgung Bi-ah, pour prouver qu’elle appartenait bien au clan Namgung, avait choisi un moyen à la fois imprudent et idiot.

Mais aussi le plus irréfutable.

Tous les gardes ici présents devaient désormais être convaincus qu’elle était bien la jeune demoiselle du clan Namgung.

Elle avait utilisé la technique emblématique du clan, après tout.

Je hochai la tête après l’avoir entendue, puis je répondis :

« Quel Qi impressionnant. Mais. Il est désormais absolument hors de question que nous laissions une artiste martiale aussi dangereuse voyager avec nous. Je m’en excuse. »

Bien sûr, ce n’est pas parce qu’elle avait prouvé son identité que j’allais changer d’avis.

__________

Après avoir poliment mais fermement rejeté la compagnie de Namgung Bi-ah, nous reprîmes notre route vers le Sichuan.

Étonnamment, Namgung Bi-ah n’avait rien dit après mon refus. Elle s’était contentée d’hocher la tête.

Aurais-je enfin réussi à me débarrasser d’un de mes problèmes ?

Je remerciais les dieux.

Comment, par tous les enfers, était-ce seulement possible de la croiser ici ?

Je me souvenais encore parfaitement de la vision d’elle, massacrant tout sur son passage, alliés comme ennemis.

Mais pourquoi la demoiselle du clan Namgung errait-elle seule par ici ?

« Pfiou… je suis épuisé. »

Cette simple rencontre avec Namgung Bi-ah m’avait honnêtement fatigué plus que nos quatre jours de voyage.

« Jeune maître, jeune maître ! »

« Quoi encore ? »

Wi Seol-Ah, qui m’appelait, regardait par la fenêtre.

Elle semblait fixer quelque chose.

« Elle continue de nous suivre. »

« …Quoi ? »

Que veut-elle dire par « suivre »… Non.

Une pensée effrayante me traversa soudain l’esprit alors que je comprenais les paroles de Wi Seol-Ah.

Non, pitié…

Comme si elle avait entendu mes pensées, Wi Seol-Ah reprit la parole, confirmant mon cauchemar.

« La jolie dame de tout à l’heure, elle continue de nous suivre. »

Oh mon dieu…

En regardant par la fenêtre de la calèche, je vis en effet Namgung Bi-ah nous suivre à distance.

Putain de merde, c’était donc ça, son hochement de tête ?

Que si on refusait, elle allait simplement nous suivre ?

…Je vais vraiment devenir fou.

J’avais beau avoir envie de la maudire et de lui dire d’aller se faire voir, je n’avais aucune bonne excuse pour le faire.

Je lui ai dit qu’on n’allait pas au Sichuan, alors pourquoi nous suit-elle !?

A-t-elle la même destination que nous ? Impossible.

Je ne l’avais jamais vue, cette psychopathe, aller dans la bonne direction.

Bon, ignorons-la. L’ignorer est la meilleure solution.

Le problème apparut à la tombée de la nuit, lorsque nous nous arrêtâmes pour camper.

Nous avions enfin trouvé un endroit convenable pour nous installer et allumer un feu, mais j’aperçus un autre feu non loin du nôtre.

C’était, bien entendu, celui de Namgung Bi-ah.

Je ne sais pas d’où elle l’avait sorti, mais elle faisait griller une grenouille au-dessus de son feu.

Et à cause de sa beauté absurde, elle avait l’air gracieuse même en restant simplement assise, l’air vide.

Elle était juste là. Affichant ouvertement qu’elle nous suivait.

Et bordel, d’où elle sort cette grenouille ?

Je détournai la tête pour l’ignorer et vis Wi Seol-Ah courir partout avec des boulettes. Apparemment, les serviteurs avaient préparé une nouvelle fournée pour les gardes.

J’avais entendu, il y a quelque temps, ce que je pensais être des conneries à propos des gardes retrouvant leur énergie après avoir reçu des boulettes de Wi Seol-Ah,

Mais après l’avoir vécu, je devais reconnaître que c’était compréhensible.

« Jeune maître ! Boulette ! »

Je pris la boulette qu’elle me tendait et la mangeai.

Ouais… manger des boulettes m’avait clairement remonté le moral.

…Au moins, tu es là, toi.

J’avais tellement d’appétit que deux boulettes disparurent en un instant. Je sentais que j’avais besoin d’en manger plus.

En cherchant Wi Seol-Ah pour en avoir d’autres,

…Oh non, pitié.

Wi Seol-Ah offrait des boulettes à Namgung Bi-ah.

Namgung Bi-ah regarda la boulette tendue par Wi Seol-Ah et afficha une expression de surprise rarissime. Elle ne s’attendait visiblement pas à recevoir quoi que ce soit.

« Tu veux en manger une aussi ? »

« …Ah. »

Je me levai immédiatement et allai vers Wi Seol-Ah.

En arrivant, je lui saisis les épaules et la tirai en arrière.

« Qu’est-ce que tu fais avec une étrangère ? »

Wi Seol-Ah eut l’air triste à cause du ton un peu fâché de ma voix.

« Je veux dire… c’est triste de la voir essayer de manger une grenouille… »

« Elle voulait sûrement la manger, ne fais plus ça et retourne là-bas. »

« D’accord… »

Wi Seol-Ah repartit d’un air triste, suite à mon réprimande.

Pendant ce temps, Namgung Bi-ah me regardait avec une boulette dans la main.

Après avoir terminé ma discussion avec Wi Seol-Ah, je tournai mon attention — désormais irritée — vers elle et demandai :

« Pourquoi nous suis-tu ? »

« J’ai juste la même des— »

« Et ne me sors pas cette connerie sur une destination commune. »

Elle s’interrompit, stupéfaite, après que je l’ai coupée et deviné correctement ce qu’elle allait dire.

« Je sais que tu viens du clan Namgung. »

« Alors… pourquoi ne m’as-tu pas laissée rejoindre votre caravane ? »

« Parce que j’en avais pas envie. Je ne suis pas obligé de t’accepter simplement parce que tu viens du clan Namgung. »

« Oh… »

« Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi la précieuse demoiselle du clan Namgung voyage-t-elle seule aussi loin ? »

J’en avais des frissons rien que de devoir lui parler avec respect, mais je devais le faire…

Namgung Bi-ah se gratta la joue avec la main qui ne tenait pas la boulette. Elle avait l’air un peu gênée.

« …On est tous partis ensemble, mais… je les ai perdus en route… »

…Je ne savais pas quoi lui répondre.

Elle avait probablement beaucoup d’accompagnateurs, une calèche, donc… comment avait-elle réussi à se perdre !?

…Si je n’avais pas eu d’expérience avec elle dans ma vie précédente, je ne pourrais probablement pas comprendre cette situation.

Je me rappelais qu’elle avait du mal à savoir si sa main droite était bien sa main droite, et inversement.

L’Épée Démoniaque avait reçu la bénédiction des dieux : celle de se perdre en toutes circonstances.

« Nous n’allons pas au Sichuan. »

« Vraiment… ? J’avais l’impression que si. »

Cette idiote qui se perdait tout le temps avait étrangement de bons instincts dans ce domaine.

Je toussotai pour me donner une contenance et repris :

« …Bref, je ne dirai plus rien sur le fait que tu nous suives, mais contente-toi de ça et rien de plus. »

Ça devrait suffire.

Non, ça doit suffire.

Alors que je m’éloignais précipitamment, Namgung Bi-ah m’appela pour m’arrêter.

« Um, jeune maître. »

« …Hmm ? »

« Je suis Namgung Bi-ah. »

« …Oui, je sais. »

Quelques secondes de silence passèrent, avec Namgung Bi-ah me fixant sans rien dire.

Qu’attend-elle que je fasse avec son nom ?

Après un instant de gêne, Namgung Bi-ah pencha de nouveau la tête, puis ouvrit la bouche comme si une idée venait de lui traverser l’esprit.

« Maintenant que je me suis présentée, dis-moi ton nom. »

« Non— »

J’allais refuser, car je sentais que dire mon nom m’impliquerait davantage avec elle,

Mais une meilleure idée me vint.

« —Je m’appelle Gu Jeolyub. »

« Hein ? »

« Jeolyub, du clan Gu. Gu Jeolyub. »

Namgung Bi-ah hocha la tête après avoir entendu le nom.

Un hochement de tête qui semblait signifier qu’elle retiendrait ce nom.

…Désolé Jeolyub, mais on dirait que je vais devoir emprunter ton nom un moment.

Je n’aurais jamais cru un jour me sentir coupable envers Gu Jeolyub.