Chapitre 42 : Phénix de l'Épée (2)

Le Vénérable Déshonoré, l’un des Vénérables Célestes, disait souvent : « Nous vivons à l’ère des étoiles filantes. »

C’était une expression qu’il avait inventée parce que des artistes martiaux de génie apparaissaient sans cesse, comme s’ils tombaient du ciel tels des étoiles filantes.

C’était un monde injuste.

Il y avait trop de jeunes gens avec un immense talent naturel, tant et si bien que beaucoup devenaient des prodiges plutôt que de simples génies.

Puis, ceux qu’on appelait prodiges devenaient ordinaires.

Et au final, ceux qui auraient pu être considérés comme ordinaires étaient vus comme des bons à rien.

C’était véritablement un monde cruel.

On pouvait peut-être considérer cette époque comme la plus grande de toutes en matière d’arts martiaux, tant les grands maîtres émergeaient de partout.

Mais pour moi, c’était l’inverse.

Tu es né à la mauvaise époque.

Je l’avais déjà entendu.

Tu n’es pas sans talent… Mais ce n’est pas suffisant.

Je l’avais entendu des milliers de fois.

Un peu décevant comparé à tes grandes sœurs.

Non, je l’avais entendu des dizaines de milliers de fois.

C’est à cette période, dans ma vie précédente, que la rage avait commencé à s’emparer de moi.

Parce que je n’étais pas la seule étoile brillante dans un ciel bien trop rempli d’étoiles.

À l’époque, je mettais tout sur le compte de l’absurdité du monde.

Blâmer mon propre sang n’avait aucun sens, puisque mes sœurs illuminaient le monde entier.

Mais même si je ne devenais pas l’étoile de ce monde, ce n’était pas si grave.

Car même parmi les étoiles, certaines brillent plus fort que d’autres.

Quelques exemples : l’Épée de Foudre du Clan Namgung, et la Reine du Poison du Clan Tang.

L’Épée du Dragon du Mont Hua était encore silencieuse à cette époque, mais lui aussi allait bientôt embraser son épée de flammes éblouissantes.

Ce ne serait plus très long avant que le dragon endormi du Mudang ne s’éveille.

Parmi tous les jeunes artistes martiaux du monde, ceux qu’on appelait les Dragons et les Phénix représentaient les étoiles de cette génération, grâce à leur talent et à leurs efforts.

Beaucoup pensaient que le futur Zénith du monde émergerait parmi eux.

Le Phénix de l’Épée était spéciale même parmi eux.

Elle était la plus grande prodige de toutes.

Celle qui montrait sa puissance même entourée par les dragons du monde entier.

Après que Peng Woojin eut cédé sa place de jeune maître du clan et abandonné son titre de plus grand prodige, ce titre fut automatiquement attribué au Phénix de l’Épée.

Et étonnamment, personne ne s’y opposa.

Les jeunes prodiges, pourtant sûrement remplis d’orgueil et d’arrogance, n’osèrent même pas contester cela.

Cela montrait à quel point le Phénix de l’Épée était puissante.

Et c’est pourquoi je ne l’avais jamais aimée.

Je n’aimais pas le fait que, bien que nous partagions le même père, elle possédait des talents dont je ne pouvais même pas rêver.

Je n’aimais pas que son nom soit toujours cité avant le mien, où que j’aille.

Pour moi, le Phénix de l’Épée était comme une montagne que je ne pourrais jamais gravir, quoi que je fasse.

Ou comme un océan que je ne pourrais jamais traverser, peu importe combien je ramais.

C’est pourquoi je ne l’aimais pas.

Pourquoi j’avais envie de fuir chaque fois que son nom était mentionné.

Mais à force de me répéter tout cela, une pensée m’était venue à l’esprit.

Est-ce que c’est vraiment celà ?

C’était une question à laquelle je n’avais pas de réponse.

Parce que je connaissais déjà la réponse depuis le début.

…Le plus grand problème dans tout ça, c’est—

Que peu importe combien de raisons je me donnais pour la détester, j’étais toujours conscient d’une chose.

Que même si je trouvais d’innombrables raisons de la haïr,

Je n’y arrivais pas vraiment au fond.

C’était ça que je n’aimais pas.

Du moins, jusqu’à maintenant—

« Petit frère. »

« …Oui ? »

« Hein ? “Oui” !? »

« Oui… Je voulais dire ; Oui, grande sœur… »

« Voilà, voilà. C’est comme ça que ça doit être. Hé, tes mains descendent, lève-les correctement. »

« …Oui. »

Je levai mes bras tremblants en l’air en pensant,

…Ne pas la détester, mon œil.

J’ai l’impression que je pourrais le faire facilement maintenant.

Cette garce cruelle.

__________

Moi, qui avais fui dès que j’avais appris la nouvelle, fus immédiatement rattrapé.

Le Second Aîné, juste devant moi, tendit la main et me saisit instantanément.

« Où crois-tu aller ? »

« …Seigneur Second Aîné, pourriez-vous faire comme si vous ne m’aviez pas vu, juste cette fois ? »

« Qu’est-ce que tu racontes ? En plus du mariage, je t’ai dit que ta sœur était de retour ! »

« Oui, une seule raison suffisait, mais maintenant j’en ai deux pour fuir ! »

« …Cet illustre aîné ne te comprend pas. Ta sœur revient après longtemps, et tu veux fuir ? »

« Comment pourrais-je la voir sans savoir ce qu’elle va me faire… ? Je vais vivre dans les montagnes pendant quelques mois, alors ne me cherchez pas. »

« …Tu es tombé malade pendant ton voyage au Sichuan ou quoi ? Pourquoi tu agis comme ça ? Tu me donnes envie de t’assommer. »

Je cessai aussitôt tout mouvement après les mots menaçants du Second Aîné.

Ce vieux fou !

Et de tous les endroits où il pouvait me saisir, il avait fallu qu’il m’attrape par le cou ; je ne pouvais donc plus rien faire pour m’échapper.

Même si mon Qi avait augmenté, face au Second Aîné, ce n’était encore rien.

Mais… même ainsi, je continuais à chercher une voie de fuite, un moyen de m’échapper.

Puis je sentis une présence… que je ne voulais absolument pas ressentir.

Elle… Elle approche… !!

Je croyais qu’elle était dans la chambre du Seigneur… !

Je ressentais une présence lointaine se rapprochant de plus en plus.

Je parvenais à la percevoir grâce à mon Qi nouvellement renforcé.

Au fur et à mesure qu’elle se rapprochait, mon corps semblait s’échauffer.

Qu’est-ce que… qu’est-ce que c’est ?

Sa seule présence suffisait à exercer une pression sur moi.

Honnêtement, est-ce qu’elle s’était enveloppée de flammes ou quoi ?

Comment un être humain pouvait-il s’approcher aussi tranquillement tout en libérant une aura aussi écrasante ?

Qu’elle fasse au moins semblant de la cacher… !

Cette folle n’avait même pas essayé de dissimuler son Qi, comme si elle voulait faire fondre tout l’endroit.

Le Second Aîné me relâcha après avoir senti l’énorme Qi s’approcher.

Il savait que, même si je tentais de fuir maintenant, cela ne servirait à rien.

Et juste après avoir terminé cette pensée.

Quelqu’un sauta légèrement par-dessus le portail et apparut devant nous.

Je me tournai vers l’intruse.

Malgré le Qi qu’elle émanait, son corps semblait très frêle.

Ses longs cheveux tiraient sur le rouge, et ses yeux étaient d’un rouge foncé ; preuve incontestable qu’elle avait atteint le cinquième royaume des arts martiaux destructeurs du feu.

Et qu’elle était une artiste martiale qui pouvait se proclamer fièrement parmi les plus puissants du monde.

Elle avait hérité du regard féroce typique du Clan Gu, mais ses traits bien définis faisaient d’elle une beauté.

Pour comparer, ma deuxième sœur avait un visage innocent, mais cette créature terrifiante avait hérité de tous les traits de mon père.

La cape agitée par son Qi portait l’image d’un tigre doré.

La cape du chef des épéistes du Clan Gu.

La femme me fixa pendant ce qui sembla être une éternité, puis repoussa soudainement ses cheveux en arrière.

Ce n’est qu’à ce moment-là que son Qi oppressant disparut enfin.

Quand je pus de nouveau respirer normalement, la femme aux lèvres rouges parla.

« Petit frère. »

« Oui… ? »

« Tu devrais saluer ta grande sœur quand tu la vois pour la première fois. »

« … »

La sueur froide coula le long de mon visage.

…Qu’est-ce que je dis ?

Je pensai à des centaines de choses à dire, puis en choisis une, et parlai…

« Salut… ? »

« … »

Pas de réponse.

Elle pencha simplement la tête.

Elle n’avait pas l’air satisfaite de ma réponse, alors j’insistai.

« Bonjour, grande sœur… ? »

Hochement de tête.

Elle hocha immédiatement la tête, visiblement satisfaite de ma nouvelle réponse.

…Je vais devenir fou.

Le Phénix de l’Épée, Gu Huibi.

C’était ma sœur aînée, que je n’avais pas vue depuis de nombreuses années.

Comment dire… elle n’avait pas changé ?

Gu Huibi me fixait avec des yeux flamboyants.

…Pourquoi elle me regarde comme ça ?

Non, attends… pourquoi est-ce que je…

Je découvris à cet instant que je m’étais inconsciemment mis à genoux.

« … ? »

…Hein ?

Est-ce que mes instincts m’avaient fait m’agenouiller ?

Étonnamment, il semblait que la peur m’avait fait réagir ainsi.

« J’aime bien ta rapidité d’exécution. »

Gu Huibi sourit d’un air sinistre, apparemment satisfaite de mon état actuel.

…Son sourire est terrifiant.

« Tu dois aussi lever les mains. »

« …Hein ? Pourquoi mes mains ? »

« Tu veux que je me répète ? »

Je levai immédiatement les mains en l’air.

Cela aussi, je le fis contre ma volonté.

C’est quoi cette éducation de merde… ?

« Petit frère. »

« …Ouais. »

« Hein ? “Ouais” !? »

« Oui… je veux dire, oui, grande sœur… ? »

« Oui, oui. Voilà qui est mieux. Hé, tes mains tombent, lève-les correctement. »

« …Oui. »

Pourquoi agissait-elle de cette façon alors que nous ne nous étions pas vus depuis si longtemps ?

Quand je jetai un regard au Deuxième Ancien, espérant qu’il m’aide, je le vis me regarder avec satisfaction.

« Vous vous entendez toujours aussi bien, vous deux. »

« …Tu trouves ça “bien”, toi ? »

« Hahahaha ! »

Gu Huibi, qui pour une raison inconnue m’avait infligé une punition, m’abandonna là et salua respectueusement le Deuxième Ancien.

« Cela faisait longtemps, Seigneur Deuxième Ancien. »

« Oui, en effet. Comment vas-tu, Huibi ? »

« Comme toujours, Ancien. »

« Pareil, en effet. J’ai entendu dire que tu faisais un excellent travail en tant que cheffe des épéistes. »

« C’est grâce à tous ceux qui me suivent. »

Le Deuxième Ancien et Gu Huibi discutaient amicalement.

C’était charmant tout ça, mais…

Combien de temps devais-je garder les mains en l’air ?

…Surtout à mon âge.

Mes mains tremblaient.

Pas parce que mes bras étaient fatigués, mais de honte.

…Je le jure.

« Ça ne va pas du tout… ! »

Je ne pouvais plus supporter ça.

Il n’était pas question que je me laisse humilier ainsi maintenant que j’étais revenu à la vie.

Je n’ai pas pu me retenir et ai baissé les bras pour me plaindre à Gu Huibi.

« Quel âge j’ai pour faire un truc pareil– »

« Relève-les. »

« Oui. »

Putain de merde…

Gu Huibi se détourna du Deuxième Ancien et s’approcha de moi pour me regarder.

Grâce à ses yeux illuminés de rouge par son qi, elle paraissait encore plus mystérieuse et terrifiante.

« Petit frère. »

« …Oui ? »

« Tu sais ce que tu as fait de mal ? »

« Avoir essayé de fuir en apprenant ton retour au clan… ? »

« …Tu as essayé de quoi ? »

Merde… Ce n’est pas ça.

Quand j’évitai son regard en toussotant faussement, Gu Huibi me piqua la joue avec un doigt et tourna de force ma tête vers elle.

Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce que j’ai fait pour être puni maintenant ?

On dit que les humains deviennent plus intelligents en situation d’urgence, ça devait être vrai, car je pensai aussitôt à une autre raison.

« …C’est à cause de notre seconde sœur ? »

« Yeonseo ? »

« Oui, si tu me punis parce que je lui ai mis une gifle– »

« Tu as giflé Yeonseo ? »

…Je suppose que ce n’est pas ça non plus.

J’avais l’impression d’avouer tous mes péchés par accident.

Mais ce qui était étrange, c’est que Gu Huibi paraissait indifférente, même si j’avouais mes fautes.

Je me demandais ce qu’elle avait pour qu’elle ne semble même pas se soucier que sa petite sœur ait été giflée.

« C’est étrange, je ne pensais pas que Yeonseo pourrait se faire gifler par quelqu’un de ton niveau. »

« Si ce n’est pas ça, alors pourquoi tu me punis ? »

On aurait dit que mes paroles lui déplaisaient, car elle me fixa avec un regard dur.

Son regard me donnait l’impression d’être transpercé.

« Toi. »

« Oui ? »

« J’ai entendu dire que tu étais en train d’arranger un autre mariage. »

« …Hein ? »

Je fis une tête stupide sans le vouloir.

Qu’est-ce que je venais d’entendre ?

Avais-je bien compris ?

Je crois qu’elle a parlé de mariage… Mais quel rapport entre mon mariage et le fait que je sois puni maintenant ?

Gu Huibi continua à parler, sans se soucier de mes pensées ni de ma confusion.

« Pourquoi tu ne m’en as pas parlé avant ? »

« Parce que je viens aussi de l’apprendre aujourd’hui… ? »

Enfin, même si je l’avais su avant, pourquoi aurais-je dû en parler à Gu Huibi ?

…Attends, je suis vraiment puni pour une raison aussi stupide ?

« C’est pour ça que tu es en colère contre moi ? »

« Bien sûr que c’est pour ça que je suis en colère ! Comment oses-tu te fiancer de nouveau sans ma permission ! »

« Qu’est-ce que tu racontes ? Tu es folle !? »

Je ne pouvais que rire nerveusement face à cette situation absurde.

C’était quoi son délire, elle avait bu en pleine journée ou quoi !?

Quand je lui criai dessus, Gu Huibi fronça les sourcils.

C’était l’expression qu’elle faisait quand elle était vraiment furieuse.

C-C’est peut-être un peu dangereux… ?

Swoosh !

Comme je l’avais prédit, de la chaleur émana du corps de Gu Huibi.

Je pouvais sentir la quantité de Qi qu’elle possédait rien qu’en voyant sa cape se soulever follement.

…Je crois que je suis foutu ?

Les instincts que j’avais développés en tant que petit frère élevé à coups de poing me disaient qu’il n’était pas trop tard pour poser ma tête au sol.

Mais ma logique, elle, me disait…

Qu’il était trop tard.

Espèce d’idiot… Qu’est-ce que tu veux que je fasse alors.

Quand je me décalai discrètement en arrière pour tenter de fuir, j’entendis la voix terrifiante de Gu Huibi.

« Folle ? Comment oses-tu dire une chose pa– »

« Jeune Maître… ? »

Puis une voix inattendue interrompit la situation.

Le Qi de Gu Huibi, prêt à exploser d’un instant à l’autre, disparut aussitôt.

Je me tournai vers la direction d’où venait la voix et vis Wi Seol-Ah tenant une assiette de boulettes chaudes, me regardant.

« Qu’est-ce que… »

Je ressentis alors une sensation glaciale, et détournai les yeux de Wi Seol-Ah pour les reposer sur Gu Huibi.

Gu Huibi, qui me fixait auparavant avec des yeux flamboyants de colère, fusillait maintenant Wi Seol-Ah du regard.