Mont Hua (2)

J’avais l’impression qu’il fallait que je dise encore quelque chose. Mais le temps, lui, ne m’écoutait jamais.

À la place, je me retrouvais toujours dans des situations où je devais m’adapter à son passage et à ce qu’il m’apportait.

Je réinsistais sur cette idée, car les dix jours qui m’avaient été accordés étaient passés bien trop vite.

Durant ces jours, je devais m’entraîner autant que possible avec le peu de temps qu’il me restait, et je devais aussi extirper de ma mémoire tous les événements futurs que je connaissais.

En plus, je devais supporter les visites constantes du Second Aîné et de Gu Huibi.

La seule chose qui m’apportait un peu de distraction, c’était d’embêter Wi Seol-Ah après qu’elle ait terminé les tâches ménagères.

Voir son visage se transformer en désespoir, comme si le monde s’écroulait, chaque fois que je lui volais et mangeais son yakgwa, ne cesserait jamais d’être drôle.

Et puis, si on y pense bien, c’est mon argent, non ?

Les serviteurs dépensaient parfois leur propre argent pour lui acheter des en-cas, mais la plupart des friandises venaient de moi.

Enfin, pour être plus précis, c’était l’argent du clan, mais c’est pratiquement la même chose…

C’est mon argent jusqu’à ce que je quitte le clan.

J’avais toujours eu en tête l’idée de quitter le clan pour de bon, mais ça, c’était pour plus tard.

Je devais profiter du clan encore au moins cinq ans.

Thud ! Thud !

Je lâchai mes sacs de sable après une séance d’entraînement.

On pouvait facilement deviner leur poids rien qu’en entendant le bruit qu’ils faisaient en tombant au sol.

« Pas encore, hein. »

Dix jours, c’était clairement insuffisant pour atteindre le quatrième royaume des arts de flamme.

J’étais peut-être au sommet du troisième royaume, mais le dernier mur à franchir pour atteindre le quatrième était assez haut.

Si je voulais utiliser cet art destructeur tout en restant fluide dans mes mouvements, il fallait d’abord que je perfectionne mon corps.

L’art martial destructeur du clan Gu était peut-être facile à apprendre, mais la gestion du Qi nécessaire était difficile à équilibrer.

La flamme sauvage qui se formait autour du corps de l’artiste martial consommait énormément de Qi, et pour résister à ces flammes, il fallait déjà avoir un corps solide à la base.

Fort de mon expérience dans ma vie précédente, je savais mieux que quiconque à quel point un corps robuste était essentiel.

« …C’est aussi pour ça que je n’ai jamais atteint le plus haut royaume. »

Le plus haut royaume.

La forme ultime de l’art destructeur de la flamme.

Le niveau qui permettait à l’artiste martial de prétendre l’avoir “maîtrisé”.

Certains comparaient la maîtrise de cet art à la maîtrise de sa propre volonté.

Mais je n’avais jamais atteint ce royaume, donc je ne connaissais pas la réponse.

L’Épée Démoniaque, dans ma vie passée, avait atteint un point où elle ne faisait plus qu’un avec son épée.

Si l’on parle purement de niveau, je pense qu’elle était allée plus loin que moi.

Quand je lui avais demandé ce qu’elle avait ressenti en atteignant un tel état, elle m’avait répondu :

[Rien.]

Je n’avais même pas été déçu, car je m’étais attendu à ce qu’elle ne me donne pas une réponse détaillée de toute façon.

Si je devais interpréter sa réponse, ce serait quelque chose comme une transcendance vers un nouveau palier.

C’était assez difficile à expliquer.

En atteignant un nouveau niveau, on s’y habituait peu à peu, ce qui permettait de le percevoir plus clairement.

J’étais encore à un niveau si misérable que je ne pouvais même pas ressentir ces choses-là, mais si j’étais à la place de l’artiste martial juste en face de moi, ce serait une toute autre histoire.

« Je suis très doué pour conduire les charrettes, Jeune Maître ! »

« …Pas besoin, ancien, on a déjà appelé quelqu’un pour conduire la charrette. »

Alors pourquoi cet homme vivait-il comme ça… ?

Je me posais toujours la question…

__________

Dix jours étaient déjà passés.

Je n’avais même pas l’impression d’avoir eu le temps de me reposer, mais le jour de mon départ pour le Mont Hua arrivait malgré tout.

Putain… J’arrive toujours pas à croire que je doive aller au Shaanxi alors que je viens à peine de rentrer du Sichuan.

Je me demandais combien de temps le voyage allait durer. Ce serait sûrement déjà l’automne quand je rentrerais.

« …Tu penses que ce voyage va durer combien de temps ? »

« Je dirais plus longtemps que ce que tu imagines. »

« Comment peux-tu dire un truc pareil ? T’es encore fâché contre moi ? »

À cause de la fois où je m’étais moqué de Muyeon avec une pièce d’argent, on dirait qu’il faisait encore la tête.

Bon… Je ne l’avais jamais remboursé non plus.

Ah, c’est peut-être pour ça qu’il est fâché ? J’avais prévu de le rembourser après avoir reçu ma paie pour ce voyage.

En mettant Muyeon de côté, j’observai la charrette que l’on préparait pour notre trajet.

Beaucoup de choses étaient chargées dedans.

Et comparé à mon voyage au Sichuan, on dirait qu’on emportait encore plus de ressources.

Je supposais que c’était parce que j’étais mieux traité, puisque cette charrette avait été envoyée par le Seigneur lui-même.

Au milieu de tout cela, j’aperçus Wi Seol-Ah qui peinait à avancer, portant d’énormes objets qui lui bouchaient la vue.

Elle portait des choses si lourdes que même des hommes adultes en auraient bavé.

…Elle doit déjà posséder du Qi.

Je n’avais pas d’autre explication pour sa force monstrueuse.

Hiiiii !

Mes yeux se tournèrent instinctivement vers le cheval qui hennissait.

Wi Seol-Ah portant tout ça, c’était une chose, mais l’Empereur de l’Épée en train de discuter avec le cheval…

…Comment suis-je censé réagir à ça ?

…Comment est-ce qu’ils se sont retrouvés à partir avec moi ?

Quand j’avais appris que l’Empereur de l’Épée et Wi Seol-Ah allaient m’accompagner dans ce voyage, j’avais été très choqué.

En plus, l’Empereur de l’Épée avait insisté pour conduire lui-même le cheval.

Je pensais qu’on avait déjà quelqu’un pour ça, mais on m’avait dit que la personne en question était partie en vacances après avoir été payée en pièces d’argent pour le voyage au Sichuan.

…Maintenant ? C’est justement maintenant que je dois partir pour le Mont Hua ?

Ça sent le coup monté.

J’avais l’impression que le Seigneur avait manigancé quelque chose pour que cela arrive.

Et au milieu de toutes ces choses suspectes, il y avait moi, marchant droit dans la tempête.

Est-ce que tout cela allait vraiment bien se passer ?

« Petit frère. »

C’était la voix de Gu Huibi.

En me tournant dans sa direction, je la vis avec une assiette de raviolis familière dans les mains.

« Pourquoi tu tiens ça ? »

« Petit frère, j’ai entendu dire que tu avais encore sauté un repas. »

« Euh… J’ai mangé, un peu. »

« Petit frère, t’es fou ? Comment peux-tu sauter des repas à ton âge ? T’es encore en pleine croissance ! »

« Comme tu peux le voir, je vais trè– Ough ! »

Sans me laisser finir, Gu Huibi me força à avaler un ravioli.

Autant j’avais envie de le recracher, autant je ne pouvais pas faire ça à un ravioli aussi précieux.

Je l’avalai tant bien que mal et bus l’eau qu’elle me tendit après.

« … »

Gu Huibi avait l’air heureuse et satisfaite de m’avoir vu avaler le ravioli qu’elle m’avait donné.

Ce qui, en retour, me rendait mécontent.

« Grande sœur, tu comptes partir quand ? »

« Pourquoi ? Tu veux que je reste plus longtemps ? »

« Non, je veux que tu partes déj– Wah ! »

J’évitai de justesse le coup de poing qui fusa vers moi.

Cette folle choisissait maintenant la violence avant les mots !

« Hé ! Parlons avec des mots, s’il te plaît ! »

« Je savais que tu l’éviterais. Sérieusement, la façon dont tu me parles… »

En secouant sa main, un peu de Qi rouge s’en échappa.

Wow, elle a même mis du Qi dans ce coup ?

En laissant de côté ce qu’elle venait de faire, Gu Huibi parla avec un sourire.

« Je pense quitter le clan dans dix jours. »

Dix jours hein, donc ça ferait vingt jours en tout qu’elle serait restée ici… c’était vraiment long pour des bretteurs en permission.

C’était peut-être parce qu’ils revenaient d’une mission longue. Leur dernière mission avait dû être particulièrement éprouvante, vu que la cinquième escouade était souvent affectée à des missions de longue durée.

« Et une fois que t’as fini de te reposer, tu vas où ? »

« Oh, c’est quoi ça ? Tu t’inquiètes pour moi ? »

Quelle plaie. J’aurais dû me taire.

Gu Huibi ria doucement en voyant ma réaction.

« C’est un peu dommage quand même, de ne pouvoir te voir que si peu. »

Elle ébouriffa mes cheveux de sa main.

Ma tête ballottait à chaque mouvement de sa main. Ça me rappelait le Second Aîné.

C’était triste, qu’elle lui ressemble…

« La prochaine mission sera plus longue que d’habitude. J’ai été assignée à l’Abîme. »

« L’Abîme ? »

L’Abîme était une région où de nombreuses portes démoniaques apparaissaient.

C’était aussi une zone directement surveillée par l’Alliance Murim, et il avait été décidé, au sein de la faction orthodoxe, que les clans y enverraient leurs troupes à tour de rôle.

On dirait que c’était maintenant au tour du clan Gu.

« Ce sera un long voyage pour toi. »

« Ce sera amusant, non ? J’ai entendu dire que plein de démons apparaissent là-bas… J’en frissonne déjà d’excitation. »

« …J’espère que tu passeras un bon moment là-bas. »

Je m’inquiétais pour rien… Elle est vraiment excitée par ça ?

L’Épée Folle de Flamme… Elle était vraiment folle.

Alors qu’on parlait, Muyeon s’approcha de moi et dit :

« Jeune Maître, nous sommes prêts à partir. »

« On part maintenant ? »

« Pas tout de suite, mais dans cinq à quinze minutes. Le Second Aîné a dit qu’il avait quelque chose à vous remettre… »

« …Je me demande ce que ça va être cette fois. »

Tout ce qui avait un lien avec le Second Aîné me rendait nerveux.

Ce ne serait pas surprenant qu’il dise un truc du genre “Donne ça au Seigneur du Clan”.

« Donne ça au Seigneur du clan. »

…Je ne m’attendais pas à ce qu’il le dise vraiment.

« …Qu’est-ce que vous venez de dire ? »

Je demandai à nouveau, au cas où j’aurais mal entendu, car le Second Aîné avait sorti ces mots de nulle part en apparaissant soudainement.

Le Second Aîné répondit comme si ce n’était rien.

« Hmm… ? Oh, donne juste ça à ce bâtard de Do-Hua – »

« Non… ! Attendez, je ne parlais pas du surnom que vous lui avez donné. »

« Hein, alors tu demandais quoi ? »

Cet homme fou… Il vient vraiment de traiter le Seigneur du Mont Hua de bâtard ? Comment peut-il être aussi téméraire… ?

« De toute façon, ils te laisseront le rencontrer si tu mentionnes mon nom, alors donne-lui ça. »

« C’est quoi, exactement ? »

« Rien. J’étais censé lui remettre ça il y a un moment, mais ce vieux a oublié. »

L’objet que le Second Aîné me remit était vaguement enveloppé dans un morceau de tissu, donc j’imaginais que ce n’était rien d’important.

Je le manipulais distraitement, trouvant le toucher agréable, quand le Second Aîné dit soudain :

« Ça s’appelle la Grande Pierre Fleur de Prunier, l’un des quatre trésors du Mont Hua. »

Je cessai immédiatement de la manipuler en entendant ces mots.

Et j’entendis Muyeon à côté de moi pousser un hoquet.

…Qu’est-ce qu’il vient de dire ? Je devais forcément avoir mal entendu, cette fois, non ?