Chapitre 5 – Les bêtes du passé

[FLASHBACK – ROOK : AVANT LA BOMBE]

Il faisait chaud. Un soleil lourd s’écrasait sur les routes en béton craquelé. Une vieille voiture cahotait lentement en direction d’une ville qu’on ne reconnaîtrait bientôt plus.

Sur le siège passager, Rook. Huit ans. Curieux. Un carnet dans les mains. Il gribouillait une carte. Une promesse.

— T’es sûr que je dois t’attendre dans un café ? demanda-t-il.

Son père hocha la tête sans lâcher la route.

— Le Nuke Café. Juste à l’entrée de la ville. Si jamais on se perd… tu restes là. Je te retrouverai.

Rook avait haussé les épaules. Pas très convaincu. Mais il avait noté l’info.

—

Puis il y eut… le bruit.

Un son creux. Venu du ciel. Puis une lumière. Blanche. Inhumaine.

Rook n’avait pas tout vu. Il avait juste senti son corps se tordre. Son sang se figer. Et puis… plus rien.

Un long sommeil.

—

[LABORATOIRE – ZONE 7, ANNEES PLUS TARD]

Rook s’éveilla dans une chambre sans couleurs. Des murs métalliques. Des voix déformées derrière une vitre.

— Sujet R-X7 : stable. Réponse faible.— Stimulez-le. Par injection.— ADN de mouton : accepté. Taureau : rejet initial, puis stabilisation.— Fusion nerveuse réussie. Il est réveillé.

Rook se sentait étrange. Son corps avait grandi trop vite. Ses bras étaient plus forts, mais ses jambes… flottaient comme dans un rêve. Et ses cheveux. Blancs. Durs comme de la laine.

Il n’avait plus faim. Plus sommeil. Juste… une pensée.

Papa. T’avais dit que tu reviendrais.

On ne lui parlait jamais. On le mesurait. On le forçait à courir. À frapper. Parfois à hurler. Les autres enfants autour n’avaient pas de noms. Juste des codes.

Certains fondaient. D’autres explosaient. Lui, il survivait.

Et un jour, on l’a relâché. Il n’a pas su pourquoi. Ni comment. On lui a remis ses habits. Un peu d’argent. Et on lui a dit :

— Tu peux vivre maintenant. Bon courage.

Mais Rook n’a pas vécu. Il a attendu. Chaque jour. Sur le banc. Devant le même café.

[PRÉSENT – CAFÉ DÉVASTÉ]

Ashen inspectait les lieux. Verre brisé. Tasses au sol. Traces étranges sur les murs.

Des marques sombres. Comme brûlées à l’acide.

— Rook, regarde ça, murmura-t-il. Ces empreintes… c’est pas humain.

Rook s’approcha. Renifla l’air. Sa mémoire le frappa d’un coup.

— C’est eux.

— Eux qui ?

Rook se redressa, plus sérieux que jamais.

— L’organisation. Ceux qui nous ont créés. Ou plutôt… ceux qui veulent nous rattraper.

Ashen serra les poings.

— On les retrouve. Tu sais où ils sont ?

— Ouais. Y a un ancien bâtiment qu’ils appelaient la Griffe. Un centre de test. C’est là qu’ils stockaient ceux qui échouaient.

Ashen jeta un œil au ciel. Il faisait nuit. Parfait.

Il s’approcha du banc. Fouilla dans son sac.

— J’prends un truc.

Il en sortit un petit briquet. Craqua la flamme. La porta doucement à sa corne. Celle-ci se mit à pulser, rougeoyant comme une braise vivante.

— OK. On y va.

— Tu veux leur cramer la gueule ? demanda Rook, un sourire amer au coin des lèvres.

Ashen répondit sans se retourner.

— Je veux retrouver Magi. Et si je dois incendier tout leur repaire pour ça… je le ferai.