Lina était en avance pour l’école. Chose rare.Le ciel était clair, ses écouteurs jouaient sa playlist préférée, et elle avait même réussi à faire un nœud potable à ses cheveux. Tout allait presque trop bien. Jusqu’au moment où elle tourna à gauche, au coin de la supérette.
Et là, tout se figea.
Dos contre un lampadaire, bras croisés, un garçon la fixait. Il n’avait pas changé. Juste grandi. Toujours ce sourire en coin, moqueur et confiant. Ses cheveux noirs en bataille comme s’il s’en fichait, et ses yeux… les mêmes. Un peu sombres, un peu brillants. Un peu blessants.
— Yo, Lina.
Elle s’arrêta net.
— Riku… ?
Il se détacha lentement du lampadaire, comme s’il sortait d’un clip dramatique.
— Je me suis dit que t’avais peut-être oublié comment on se disait bonjour.
— Qu’est-ce que tu fais là ? bredouilla-t-elle.
— Je passais dans le coin.
Pause.
— Enfin, plus ou moins. Disons… j’ai demandé à deux-trois personnes, j’ai suivi un peu les infos en ligne, et…
Il s’approcha d’un pas, les mains dans les poches, l’air tranquille. Trop tranquille.
— Et j’ai fini par te retrouver.
Lina sentit ses épaules se tendre.
— Tu m’as suivie.
— Pas exactement. C’est pas du harcèlement si je veux juste discuter, non ?
Elle recula d’un pas. Son cœur battait vite. Pas comme avec Eden. C’était une vitesse différente. Celle du danger qu’on connaît déjà.
Et soudain…
— Tu la rends mal à l’aise.
La voix était douce, mais ferme. Comme un gant de velours rempli de plomb.
Eden.
Il venait de surgir de nulle part. Il tenait un sac de provisions dans une main et regardait Riku comme on regarde une tâche de sauce sur une chemise blanche.
— Qui t’a demandé ton avis, prince charmant ? lâcha Riku avec un rictus.
— Personne. Mais moi, je vis à côté. Et quand ma voisine regarde quelqu’un comme s’il allait lui sauter dessus… j’interviens.
Lina voulut dire quelque chose, n’importe quoi, mais aucun son ne sortit. Riku soupira, exagérément.
— T’as changé, Lina. Avant, t’aurais ri. T’aimais ça, qu’on s’accroche à toi. T’aimais bien être regardée comme une héroïne de manga…
Eden posa calmement son sac au sol.
— Et maintenant, elle aime qu’on la laisse tranquille.
Silence.
Riku recula d’un pas, haussa les épaules et lâcha :
— On se reverra. J’ai pas dit mon dernier mot.
Il s’éloigna lentement, son regard glissant encore une fois vers Lina avant de disparaître au coin de la rue.
Un silence s’installa.
Lina serra son sac contre elle.
— Merci… murmura-t-elle sans oser le regarder.
Eden hocha simplement la tête.
— T’as pas à me remercier. Je serai là. Tant qu’il le faudra.
Et pour la première fois, Lina vit dans son regard quelque chose qu’elle ne comprenait pas encore.
Pas seulement de la bienveillance.
Mais une promesse silencieuse. Comme s’il la connaissait bien plus qu’il ne le laissait croire…
De retour à l’école,
Lina n’arrivait pas à se concentrer en classe.
Le professeur parlait, les pages défilaient, les stylos gribouillaient… mais son esprit était resté là-bas, au coin de la rue. Entre Eden, calme comme un lac, et Riku, tornade imprévisible.
— Linaaaaaa ! cria doucement une voix à sa droite.
Elle sursauta. Miyu, sa meilleure amie, lui soufflait dessus comme une théière bouillante.
— T’étais avec deux beaux gosses ce matin ?! Deux. Pas un. Deux !
— Chut ! Ne crie pas ça comme si j’avais gagné à une loterie bizarre, gémit Lina.
Miyu sortit un carnet avec "SOS LOVE MISSION" écrit en rose fluo et griffonna dessus :
> Sujet : Lina.
Objet du trouble : 1) le voisin-ange. 2) l’ex démoniaque.
Hypothèse : triangle amoureux. Probabilité : 200 %.
Lina rougit violemment.
— Ce n’est pas un triangle amoureux. Ce n’est même pas un amour tout court !
— T’es sérieuse ?! Le mec qui vit à côté te cuisine des bentos maison et te protège comme dans un shōjo, et ton ex débarque comme s’il était toujours ton fiancé… ET TU DIS QU’IL NE SE PASSE RIEN ?!
— C’est pas si simple, murmura Lina en regardant sa gomme comme si elle pouvait l’absorber dans une autre dimension.
— Lina, ton quotidien est un drama. Si tu n’agis pas, je vais m’en charger moi-même. Je veux voir du baiser, de la jalousie et des retournements de situation avant l’examen de maths, OK ?
Lina soupira.
— Tu devrais vraiment écrire des mangas.
Miyu afficha un sourire diabolique.
— T’inquiète. Je suis en train de le vivre à travers toi.
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Fin du cours
Alors que la cloche sonnait la fin des cours, Lina sortit, espérant que tout se calmerait.
Mais en tournant vers les casiers…
Un mot glissa de sa porte, plié avec soin.
Elle l’attrapa, l’ouvrit.
> "On n’a pas fini, Lina.
Je veux que tu te rappelles ce que c’était, nous deux.
— R"
Elle sentit le papier trembler entre ses doigts.
Et au bout du couloir, elle aperçut Riku, adossé à une fenêtre, qui la regardait… avec un sourire trouble.
Comme s’il ne comptait pas la laisser tranquille.