Le réveil sonna à six heures précises, comme chaque matin, brisant le silence de la modeste chambre où dormait Éléa. Elle ouvrit les yeux lentement, le visage encore marqué par la fatigue. La lumière grise de l’aube filtrait à travers les volets partiellement clos, dessinant des ombres sur les murs. Sans un bruit, elle se leva, veillant à ne pas réveiller sa mère, dont la respiration régulière témoignait d’un sommeil fragile.
Dans la cuisine, elle alluma la bouilloire et sortit sa tasse préférée, ornée d’un motif simple et usé. Elle infusa un thé vert, savourant la chaleur qui montait doucement. Ce rituel matinal était son moment à elle, une parenthèse de calme avant le tumulte de la journée.
Devant le miroir, elle s’observa un instant. Ses yeux verts, souvent perçants, portaient aujourd’hui une ombre de lassitude. Sa peau était claire mais marquée par les nuits courtes et l’inquiétude constante. Elle releva les cheveux, les attachant en un chignon négligé, avant de s’habiller rapidement. Une tenue simple, professionnelle, mais qui reflétait sa volonté de garder une certaine dignité malgré les épreuves.
Elle quitta l’appartement, saluant d’un geste son père déjà parti pour son travail de chauffeur. Le quartier s’éveillait doucement, les rues étroites baignées par la lumière timide du matin. Éléa prit le chemin du métro, serrant son sac contre elle, perdue dans ses pensées.
Au travail, les premières heures furent intenses. Accueillir les clients, gérer les imprévus, régler les litiges. Éléa connaissait bien la mécanique. Elle savait apaiser les colères, répondre aux exigences, souvent absurdes, des visiteurs. Mais ce matin-là, ses pensées revenaient sans cesse au mystérieux patron, Aidan Blackwell.
Elle savait qu’il ne la connaissait pas personnellement. Elle n’était qu’une simple réceptionniste, un rouage dans la grande machine Lancaster Group. Pourtant, depuis leur première rencontre, elle sentait un poids nouveau peser sur ses épaules, une tension qu’elle peinait à définir.
Pendant la pause déjeunée, elle retrouva Inès et Naïla dans le petit café de l’hôtel, refuge temporaire loin de l’agitation.
— Tu as l’air fatiguée, remarqua Inès en posant son café devant Éléa.
— Je dors mal ces temps-ci, répondit-elle, un sourire forcé aux lèvres.
Naïla hocha la tête avec compréhension.
— Entre la maison et le boulot, tu dois t’épuiser.
— C’est ça, soupira Éléa. Maman ne va pas mieux, et au boulot, il faut toujours être au top.
Les amies la regardèrent avec une tendresse silencieuse, conscientes des batailles qu’elle menait en privé.
Alors qu’elles parlaient, Éléa sentit son téléphone vibrer. Un message de son superviseur, Mme Lefèvre.
« Bonjour Éléa,
Le directeur souhaite te rencontrer demain à 17h. Merci de bien vouloir te rendre à son bureau.
Bonne journée. »
Un mélange d’excitation et de nervosité s’empara d’elle. Elle se demanda ce que ce rendez-vous pouvait signifier, sachant qu’Aidan Blackwell ne communiquait jamais directement avec les employés de ce niveau, mais toujours par le biais de ses cadres.
Le reste de la journée se déroula dans une sorte de brouillard. Éléa essayait de rester concentrée, mais son esprit dérivait sans cesse vers cette rencontre à venir.
À la maison, la routine reprenait ses droits. Elle aidait son père à préparer le dîner, surveillait sa mère avec attention, essayait de lui apporter un peu de réconfort. La maladie semblait vouloir s’incruster dans chaque recoin de leur vie, mais Éléa refusait de se laisser abattre.
Ce soir-là, tard, elle s’autorisa un moment de solitude dans sa chambre. Elle ouvrit son carnet noir, ce refuge secret où elle consignait ses pensées et ses rêves.
Elle écrivit :
« Demain, une porte s’ouvre. Que va-t-elle révéler ? »
Le lendemain, vêtue d’une tenue soignée mais discrète, elle monta les étages dans l’ascenseur, chaque arrêt la rapprochant un peu plus de l’inconnu.
Le bureau d’Aidan Blackwell était aussi sobre que puissant. Un vaste espace épuré, des murs blancs, un grand bureau en verre, et une vue plongeante sur la ville.
Éléa attendait, debout près de la porte, le dossier en main. Sa respiration était calme, mais son cœur battait un peu plus vite que d’habitude. Elle savait que cet entretien n’était pas ordinaire. Être convoqué par le PDG en personne, surtout après seulement deux mois dans l’entreprise, était un événement rare.
La porte s’ouvrit et Aidan fit signe qu’elle pouvait entrer.
Éléa entra, le cœur battant mais le visage impassible. Elle s’inclina légèrement, marquant son respect.
— Bonjour, monsieur Blackwell, dit-elle d’une voix claire.
Il hocha la tête en guise de salut.
— Prenez place, Éléa.
Elle s’assit sur la chaise en face du bureau, redressant son dos.
—J’ai pu observer la scène d’hier au comptoir,, commença-t-il d’une voix posée, presque froide. Un client particulièrement difficile, une panne système. Des circonstances qui auraient pu dégénérer.
Il posa ses mains sur le bureau, croisant les doigts.
— Votre gestion de l’incident a été remarquablement professionnelle. Calme, ferme, sans céder à la pression ni à l’agressivité. C’est exactement ce que nous attendons de nos équipes, mais trop peu y parviennent.
Éléa hocha la tête, absorbant ses mots sans exprimer de fierté excessive.
— Je vous remercie, monsieur. J’essaie simplement de faire mon travail du mieux possible.
— C’est plus que faire son travail. C’est une maîtrise que l’on reconnaît rarement à ce niveau. Vous avez su désamorcer une crise avec un sang-froid rare. Ce genre de compétence est précieux.
Il sortit un dossier du tiroir et le posa devant elle.
— Votre dossier indique que vous êtes ici depuis seulement deux mois. Cela laisse présager un fort potentiel.
Éléa regarda le dossier, puis releva les yeux.
— Je fais tout pour apprendre rapidement et m’adapter, monsieur.
— C’est ce que je voulais entendre.
Un bref silence s’installa.
— Je ne vous cache pas que les exigences sont élevées ici, reprit-il. Mais je vois en vous une volonté et une capacité à les relever.
— Je suis prête à faire face à ces exigences, répondit-elle avec conviction.
Il la regarda un moment, évaluant.
— Continuez sur cette voie, Éléa. Et si vous avez besoin de formation ou de ressources, faites-le savoir à votre superviseur. Nous investissons dans le talent sérieux.
Elle sourit doucement.
— Merci, monsieur Blackwell. C’est rassurant à entendre.
Il hocha la tête, une rare expression d’approbation sur son visage.
— Vous pouvez disposer.
Éléa se leva, le cœur un peu plus léger, consciente que ce bref échange ouvrait une porte. Elle quitta la pièce, reprenant sa place parmi les équipes, avec une énergie renouvelée.