Les jours suivants, Éléa ressentit une étrange mixture d’excitation et de pression. La convocation par Aidan Blackwell, le PDG du Blackwell Group, n’était pas anodine. Peu d’employés avaient l’occasion d’échanger directement avec lui, et encore moins d’être remarqués pour leur travail à un poste comme le sien.
À la réception, elle retrouva Mme Lefèvre, qui la regarda avec un sourire presque complice.
— Alors ? demanda-t-elle.
— C’était… formel, mais encourageant, répondit Éléa. Il m’a félicitée pour la gestion de la crise au comptoir et évoqué des possibilités de formation.
— Il voit ce que vous valez, Éléa. Mais ici, ce n’est pas seulement le talent qui compte. C’est aussi la capacité à naviguer dans un environnement complexe, souvent impitoyable.
Éléa hocha la tête, consciente que ce message sous-jacent cachait bien plus.
Dès le lendemain, elle fut convoquée à plusieurs sessions de formation internes, organisées par le département des ressources humaines. Ces formations n’étaient pas des séances anodines pour remplir du temps, mais bien des programmes rigoureux pensés pour affiner le savoir-faire des employés, et surtout, leur mentalité.
La première session s’intitulait "Gestion du stress et des conflits". Dans une salle lumineuse et sobre, Éléa retrouva plusieurs collègues venus d’autres départements. Le formateur, un homme d’une quarantaine d’années, imposait un ton ferme mais bienveillant.
« Dans une entreprise de l’envergure du Blackwell Group, les imprévus sont une norme. La façon dont vous gérez la pression définit votre valeur. »
Éléa se revit immédiatement dans cette situation au comptoir, la veille de la convocation. Le client agressif, le système en panne, et surtout ce regard distant et pourtant attentif d’Aidan Blackwell. Elle avait su garder son calme, mais ce n’était que le début.
Au fil des heures, on leur enseigna des techniques de respiration, de gestion émotionnelle, des méthodes pour désamorcer les tensions sans provoquer de conflit. Chaque exercice était conçu pour les préparer à des situations encore plus tendues. Pour Éléa, c’était une révélation. Elle comprit que dans cette entreprise, il ne suffisait pas d’être compétent. Il fallait aussi être stratège dans ses émotions.
Les jours suivants, ce fut une formation sur la communication assertive, puis sur la gestion des priorités et enfin sur la culture d’entreprise du Blackwell Group. Cette dernière lui ouvrit les yeux sur l’ampleur réelle de la société. Le Blackwell Group n’était pas qu’un simple conglomérat : c’était un empire qui s’étendait dans divers secteurs, de la finance à l’immobilier, en passant par la technologie et l’énergie.
Chaque session dévoilait un peu plus les coulisses d’un monde où les décisions se prenaient à un rythme effréné, où le moindre faux pas pouvait coûter cher. Mais aussi où le talent pouvait ouvrir des portes insoupçonnées.
Éléa se surprit à rêver un peu. Peut-être qu’un jour, elle aussi, pourrait gravir ces échelons. Que sa vie pourrait changer.
Pourtant, la réalité la rattrapait vite. À la maison, les difficultés s’accumulaient. Sa mère était toujours malade, la fatigue rongeait son père, et les factures semblaient s’entasser. Chaque soir, après le travail, Éléa retrouvait sa place dans ce petit appartement où tout semblait fragile, mais où l’amour tenait bon.
Un soir, alors qu’elle était épuisée, Inès lui envoya un message.
« Tu tiens le coup ? On pourrait se voir ce week-end, prendre l’air un peu ? »
Éléa hésita, consciente qu’elle avait besoin de souffler, mais aussi qu’elle ne pouvait pas laisser tomber ses responsabilités.
« Je vais essayer », répondit-elle simplement.
Le samedi, elle se rendit finalement chez Inès. Leur petite soirée fut un souffle d’air frais, un moment de complicité qui fit du bien. Elles parlèrent de tout et de rien, mais aussi de leurs ambitions, de leurs doutes.
— Tu sais, Éléa, dit Inès, tu as quelque chose que peu ont. Ce calme, cette force tranquille. C’est rare, et ça va t’emmener loin.
Éléa sourit, un peu gênée.
— J’espère que tu as raison. Parfois, j’ai l’impression de n’être qu’un rouage minuscule dans une machine trop grande.
— Justement, c’est ta machine, répondit Inès avec conviction. Tu ne t’en rends pas compte, mais tu es déjà en train de la construire.
De retour chez elle, plus légère, Éléa sentit une nouvelle détermination naître en elle.
La semaine suivante, elle fut à nouveau convoquée dans le bureau d’Aidan Blackwell. Cette fois, l’atmosphère était différente. Le PDG avait un air moins distant, presque pensif.
— Éléa, commença-t-il, j’ai suivi tes progrès depuis notre dernier entretien. Tu t’es montrée réceptive aux formations et tu as intégré les retours de tes superviseurs. C’est encourageant.
Elle sentit son cœur s’accélérer, mais garda son calme.
— Merci, monsieur Blackwell. Je fais de mon mieux.
Il hocha la tête, puis posa devant elle un dossier épais.
— Le Blackwell Group a des projets ambitieux. Nous avons besoin de collaborateurs capables de comprendre ces enjeux et de s’y investir pleinement. Ce dossier contient des documents que tu devras étudier. Il s’agit d’un projet stratégique dans lequel tu seras impliquée, à un niveau que tu n’as pas encore connu.
Éléa ouvrit le dossier, découvrant des plans, des chiffres, des analyses complexes.
— Je ne suis pas sûre de comprendre tout ça, admit-elle.
— Tu n’es pas censée, pour l’instant, répondit-il. Mais je voulais que tu prennes conscience de ce à quoi nous travaillons. Ce projet pourrait avoir un impact majeur, non seulement pour l’entreprise, mais aussi pour toi.
Il marqua une pause.
— Ce que je veux te demander, Éléa, c’est si tu es prête à relever ce défi. Es-tu prête à aller au-delà de ce que tu imagines aujourd’hui ?
Elle réfléchit un instant. Tout ce qu’elle voulait, c’était offrir une vie meilleure à sa famille. Elle savait que ce chemin serait semé d’embûches, mais elle ne voulait plus reculer.
— Oui, monsieur Blackwell. Je suis prête.
Un léger sourire fendit le visage du PDG.
— Très bien. Alors, commençons.