La journée tirait lentement à sa fin, les derniers rayons du soleil filtraient à travers les grandes baies vitrées du Blackwell Group, inondant les couloirs d’une lumière orangée qui semblait adoucir l’acier froid du bâtiment. Pourtant, pour Éléa, ce spectacle n’avait rien d’apaisant. Elle venait tout juste de sortir de la salle de réunion où, encore une fois, elle avait dû faire face à un défi de taille. Ses jambes étaient lourdes, son esprit tourbillonnait d’idées, de questions, d’incertitudes. Elle marchait d’un pas mesuré, son badge cliquetant doucement contre son vêtement tandis que ses yeux tentaient de s’accrocher aux reflets mouvants des murs.
Elle sentait ce poids familier : la pression de devoir toujours prouver, de ne jamais faillir, d’être à la hauteur d’un monde dont elle ignorait presque tout. Chaque jour, elle devait composer avec la complexité d’une entreprise tentaculaire, avec ses règles tacites, ses codes souvent hermétiques, et avec cet homme qui, sans le dire, semblait observer chacun de ses gestes.
Aidan Blackwell. Son nom résonnait dans sa tête comme une mélodie froide, lointaine, mais irrésistible.
Éléa revit son regard, pénétrant et calculateur, ce regard qu’elle avait cru impassible, mais qui, au détour d’un mot ou d’un geste, avait laissé entrevoir une certaine… curiosité. Ou peut-être un intérêt plus profond, plus troublant. Elle ne savait pas.
Elle s’arrêta un instant près d’une fenêtre, observant la ville qui s’animait en contrebas. Les voitures, les passants, le ballet incessant de la vie urbaine qui continuait sans se soucier des tourments de son existence. Elle inspira profondément, essayant de calmer le tumulte intérieur.
C’est alors que la porte du couloir s’ouvrit soudain, et elle sentit une présence derrière elle. Une silhouette familière qui avançait d’un pas sûr et mesuré.
— Éléa, dit une voix grave et calme, qui la fit sursauter légèrement.
Elle se retourna et vit Aidan Blackwell, immobile, les mains dans les poches, le visage toujours aussi impassible mais avec une lueur particulière dans les yeux.
— Monsieur Blackwell, répondit-elle, en se redressant, tentant de cacher la nervosité qui la gagnait.
— Appelez-moi Aidan, coup a-t-il avec un léger sourire.
Ce simple changement de ton, cette familiarité naissante, fit battre son cœur un peu plus vite. Elle détourna les yeux, reprenant contenance.
— J’ai observé votre performance en réunion, reprit-il. Vous avez su tenir tête avec assurance, présenter vos arguments avec clarté. Ce n’est pas chose aisée dans un environnement comme celui-ci.
Éléa sentit une vague de chaleur l’envahir, un mélange d’orgueil et d’appréhension.
— Merci, Aidan. J’essaie de faire de mon mieux.
— Ce “mieux” est ce qui fait la différence, souligna-t-il. Mais je vois aussi la fatigue dans vos yeux. Vous portez un poids lourd.
Elle baissa les paupières, surprise qu’il ait remarqué ce qu’elle cherchait à cacher.
— C’est… la vie, répondit-elle simplement.
Aidan fit un pas en avant, réduisant encore la distance entre eux.
— Vous n’êtes pas seule, Éléa. Ce poids ne devrait pas vous écraser. Vous avez cette force en vous, ce feu qui ne demande qu’à être canalisé.
Elle sentit un frisson parcourir son échine, une électricité subtile qui s’infiltrait dans l’air entre eux.
— Mais il faut savoir aussi maîtriser la glace, ajouta-t-il, le regard sombre et profond.
Leurs yeux se croisèrent, et pour un instant suspendu, le monde autour d’eux sembla se figer. Ce regard était chargé d’une intensité qui dépassait de loin la simple relation patron-employée.
Éléa sentit ses joues s’embraser, son souffle devenir court. Pourtant, elle s’efforça de rester maître d’elle-même.
— Je… je comprends, murmura-t-elle.
— Continuez sur cette voie, Éléa. Vous avez un rôle clé ici, bien au-delà de ce que vous imaginez.
Il fit un pas en arrière, reprenant sa posture de chef distant, mais le sourire qui flottait encore sur ses lèvres était une invitation muette à autre chose.
Éléa le regarda s’éloigner, son cœur battant à tout rompre.
Elle referma doucement la porte derrière lui, puis s’appuya contre le mur, laissant enfin échapper un souffle long et tremblant.
Tout en elle était en ébullition.
Elle savait que ce moment avait changé la donne. Qu’elle ne verrait plus jamais Aidan Blackwell de la même manière.
Qu’une tension nouvelle, délicieuse et dangereuse, s’était installée entre eux.
Et qu’elle devrait apprendre à la gérer, ou risquer de s’y perdre.