Chapitre 10 – Résistances brûlantes

Aidan n’avait pas bougé depuis que Clara avait claqué la porte. Debout près de la baie vitrée, les mains enfouies dans les poches de son pantalon sur-mesure, il regardait la ville qui s’étalait à ses pieds. Mais ce n’était pas les lumières de la ville qu’il voyait. C’était elle. Éléa. Sa nuque tendue. Sa respiration rapide. Ses yeux verts fuyants, embués de trouble.

Il avait senti sa peau frissonner à son approche, entendu son souffle se briser au creux de son silence. Elle avait cédé... presque. Et c’était ce "presque" qui le rongeait à présent.

Une autre aurait succombé. Une autre aurait profité de ce moment, de ce frisson partagé pour s’abandonner. Mais pas elle.

Éléa lui avait résisté.

Et cette résistance, loin d’apaiser son désir, l’avait allumé d’une flamme plus ardente encore.

Il la voulait. Plus que de raison.

Mais il ne voulait pas la forcer. Il voulait qu’elle vienne à lui. Par choix. Par envie. Qu’elle baisse la garde et lui montre ce qu’il sentait vibrer en elle : cette tension, cette soif retenue.

Le lendemain, Éléa entra au bureau comme à son habitude, le pas décidé, le regard volontairement tourné vers les tâches qui l’attendaient. Mais chaque mètre franchi dans les couloirs du Blackwell Group lui rappelait la scène de la veille. Le souffle d’Aidan. Sa main presque posée sur elle. Son regard brûlant, celui qu’elle fuyait encore dans ses cauchemars et ses rêves confondus.

Elle s’efforçait d’agir comme si de rien n’était. Mais tout son être vibrait d’une alerte invisible. Elle sentait qu’à chaque instant, il pouvait surgir. Et c’est ce qu’il fit.

Lorsqu’elle déposa un dossier sur le bureau de Mme Lefèvre, la porte s’ouvrit derrière elle. Son cœur accéléra.

— Mademoiselle Delaunay, le directeur souhaiterait vous voir, annonça l’assistante d’Aidan. Il vous attend dans son bureau.

Elle hocha la tête, remercia, puis tourna les talons. La montée dans l’ascenseur lui parut éternelle.

Cette fois, lorsqu’elle entra dans le bureau, Aidan était déjà debout.

— Bonjour, Éléa, dit-il, la voix plus basse que d’ordinaire.

Elle le salua avec professionnalisme, évitant son regard. Il lui désigna la chaise, mais au lieu de s’asseoir, elle resta debout.

— Ce ne sera pas long, assura-t-il. Je voulais simplement vous féliciter pour le suivi du projet des suites exécutives. Vos recommandations ont été approuvées.

— Merci, monsieur Blackwell. Je suis contente qu’elles aient été utiles.

— Très utiles.

Un silence s’installa. Il fit le tour de son bureau, s’approchant lentement. Trop lentement.

Elle sentit ses nerfs se tendre.

— Vous me fuyez, Éléa ? demanda-t-il soudain, sans détour.

Elle releva les yeux, surprise, puis se reprit :

— Je garde mes distances. C’est ce qu’il faut faire.

— Pourquoi ?

— Parce que je ne suis pas ici pour… ça. Pour ce que je crois que vous ressentez.

— Ce que je ressens ? répéta-t-il, la voix plus grave. Et que croyez-vous que je ressente ?

— Je ne veux pas le savoir, répondit-elle, la gorge sèche.

Il s’arrêta juste devant elle. Pas trop près. Mais assez pour qu’elle sente la tension entre leurs deux corps. Son parfum. Sa chaleur. Ses yeux ancrés dans les siens.

— Vous me résistez, dit-il lentement. Et je vous jure, Éléa, je ne sais pas si je dois vous en vouloir... ou vous désirer encore plus pour ça.

Elle sentit son souffle court. Mais elle tint bon.

— Je ne suis pas une distraction, monsieur Blackwell. Je ne suis pas un jeu. Et je n’ai pas envie de finir dans la liste des femmes qui vous fascinent un temps... puis que vous laissez derrière.

Un éclair passa dans le regard d’Aidan. Elle avait touché un point sensible.

Il recula légèrement, reprenant une posture plus formelle. Pourtant, sa mâchoire crispée, ses yeux sombres, disaient tout le contraire.

— Vous n’êtes pas comme les autres, Éléa. Et c’est bien ça le problème.

Elle déglutit difficilement. Elle devait partir. Maintenant.

— Si vous n’avez rien d’autre à me confier, je vais retourner à mon poste.

Il hocha la tête, sans mot dire.

Elle sortit. Mais en franchissant la porte, elle sentit encore son regard dans son dos, brûlant, chargé d’un désir qu’il ne pouvait plus dissimuler.

Et dans le silence glacé de son bureau, Aidan frappa du poing sur le bureau.

Elle l’avait repoussé. Et cela le rendait fou.

Fou de frustration. Fou d’envie.

Mais aussi… de respect.

Parce qu’elle était la seule à ne pas vouloir céder. Et c’est précisément pour cela qu’il la voulait encore plus.