Chapitre 9 – Trouble

Les couloirs du Blackwell Group semblaient plus longs que jamais alors qu’Éléa s’éloignait à pas vifs du bureau du PDG. Le cœur encore battant, elle refusait de tourner la tête, de revenir sur ce qui venait de se passer. Ses joues étaient brûlantes, ses pensées chaotiques.

Elle s’était laissée emporter. Une seconde de plus, et elle n’aurait plus su distinguer la frontière entre le professionnel et le personnel.

Une frontière qu’elle s’était pourtant juré de ne jamais franchir.

Mais ce regard. Ce murmure rauque. La façon dont son corps avait réagi à sa simple proximité.

Elle entra dans la salle de repos vide, s’y enferma et s’appuya contre le mur, tentant de reprendre son souffle. L’air semblait manquer. Elle se regarda dans le miroir fissuré au-dessus de l’évier : ses yeux verts, écarquillés, brillaient d’un éclat qu’elle ne se connaissait pas.

Elle ne pouvait pas nier ce qu’il s’était passé. Aidan Blackwell la désirait. C’était évident. Et elle aussi… elle était profondément troublée.

Mais il y avait cette femme. Clara. Parfaite, belle, confiante. Elle était entrée comme si ce lieu lui appartenait. Et peut-être que c’était le cas. Peut-être que c’était elle, la véritable maîtresse du royaume Blackwell.

Éléa inspira profondément et se passa de l’eau sur le visage. Il fallait qu’elle se ressaisisse. Elle n’était pas là pour ça. Elle était venue travailler, construire une vie, subvenir aux besoins de sa famille. Pas pour perdre la tête à cause d’un homme — encore moins son patron.

Pendant ce temps, dans le bureau désormais silencieux, Aidan s’était rassis. Clara, debout face à lui, le regardait avec un mélange d’amusement et de méfiance.

Clara la regarda partir, Aidan resta un instant immobile, le regard perdu vers la porte close. Le feu qui brûlait en lui ne s’était pas éteint, bien au contraire. Ce bref moment de proximité avec Éléa avait réveillé des désirs qu’il croyait maîtrisés

Clara referma la porte derrière elle, puis se retourna lentement vers Aidan. Ses bras croisés, le menton légèrement relevé.. Laissant derrière elle une atmosphère lourde de non-dits

 

— Je ne te dérange pas ? demanda-t-elle, croisant les bras.

Il prit un instant avant de répondre, passant une main dans ses cheveux.

— Non. Tu m’as surpris, c’est tout. Je terminais un entretien.

 

— Charmante. Discrète. Mais pas si indifférente que ça à ton charme, si tu veux mon avis.

Aidan ne répondit pas. Il s’éloigna, se servant un verre d’eau, dos à elle.

— Tu es jalouse, Clara ?

— Je suis réaliste. Tu ne m’as pas regardée de cette façon depuis des semaines. Et cette fille… elle te regarde comme si elle voulait comprendre qui tu es. Pas ce que tu possèdes.

Elle s’approcha lentement, passa ses bras autour de lui.

— Je suis revenue pour toi. Tu disais que j’étais celle qui connaissait tes silences, tes gestes, tes failles…

Ses mains glissèrent sous sa chemise.

Mais cette fois, il les saisit doucement, et les écarta.

— Clara, non.

Elle le fixa. Un choc, une blessure muette dans ses yeux.

— Tu veux me dire que tu ressens quelque chose pour elle ? Cette fille ? Une réceptionniste ?

— Ce n’est pas ce que tu crois. Et ce n’est pas le moment d’avoir cette conversation.

— Parce qu’il y aura un moment ?! Tu l’aimes, Aidan ?

Il resta silencieux. Ce silence-là valait une réponse.

Clara recula, blessée.

— Tu la veux, Aidan ? cette petite réceptionniste ?demanda-t-elle, le ton étrangement calme.

Il ne répondit pas. Parce qu’il n’avait pas de réponse simple. Ce qu’il ressentait ne relevait pas de la logique. Éléa éveillait en lui quelque chose de primitif, d’incontrôlable. Une faille dans son armure.

Clara s’approcha, posant les mains sur le bureau, sa voix plus basse, plus intense.

— Je te connais. Je sais ce que tu es capable de ressentir, de désirer. Et je vois très bien ce que cette fille éveille en toi.

Elle fit le tour du bureau lentement, se plaçant tout près de lui.

— Mais je suis toujours là, Aidan. Moi. Celle qui a traversé les tempêtes avec toi. Celle qui connaît tes silences. Celle qui t’a attendu.

Elle posa une main sur sa poitrine, cherchant son regard.

— Tu veux me repousser ? Soit. Mais rappelle-toi que je ne suis pas du genre à abandonner facilement ce qui m’appartient.

Aidan se leva, reculant légèrement, le regard ferme.

— Clara… tu sais ce qu’il en est. On avait un arrangement. On s’amuse, on partage du temps, mais on n'attache pas. Je ne m’engage pas. Je te l’ai toujours dit.

Clara serra la mâchoire, mais ne recula pas.

— Peut-être que je pensais que tu finirais par changer. Pour moi.

Il soupira, sans colère, mais avec une fermeté glaciale.

— Ne franchis pas cette ligne. Tu sais ce que cela signifierait. Si tu la traverses… il n’y aura plus rien entre nous.

Elle le regarda, blessée, mais fière. Les yeux brillants, elle redressa le menton.

— Alors je vais défendre ce qui me reste. Même si ce n’est qu’un souvenir. Même si je dois lui montrer que ce terrain n’est pas libre.

Elle tourna les talons, quittant la pièce, la tête haute. Mais son cœur, lui, saignait de rage et de jalousie mêlée.

Aidan ferma les yeux un instant, inspirant profondément.

Il n’avait pas prévu ça. Pas cette attirance qui grandissait pour une femme qui ne cherchait ni sa fortune, ni sa gloire. Juste... sa paix.

Mais la paix, il ne l’avait jamais connue.

Le soir venu, Éléa rentra chez elle exténuée. Elle traversa l’entrée en silence, salua son père d’un baiser sur la joue, passa voir sa mère endormie, puis s’enferma dans sa chambre.

Elle prit son carnet noir.

"Je suis en train de tomber. Et ce n’est pas la vie que je défie cette fois. C’est moi-même."

Elle posa le stylo, les larmes aux yeux.

Elle devait oublier ce moment. Cet homme. Ce regard.

Mais au fond d’elle, quelque chose — ou peut-être quelqu’un — avait déjà ouvert une brèche.