chapitre 3

Les renforts

Le calme était revenu… du moins en apparence.

Dans une pièce simple aux murs de pierre rugueux, éclairée par la lumière tremblante d’une lampe à huile, Hiro essuyait son bras ensanglanté. Assis sur un vieux banc en bois, il observait Kohaku qui marchait de long en large, les bras croisés, les sourcils froncés.

— T’as vu ce truc qu’on a affronté ? lança-t-elle. Une horreur pareille, je parie qu’il vient du Tartare lui-même...

— C’était pas humain, répondit Hiro en relevant la tête. Et pas grec non plus. Tu l’as senti ?

— Ouais. Quelque chose d’autre... comme si... comme si ce truc avait été façonné pour tuer.

Elle s’arrêta, fixa le sol quelques secondes, puis ferma les yeux. Son souffle se calma.

— On n’a pas le temps d’attendre des ordres.

— Kohaku ? Qu’est-ce que tu—

Mais avant qu’il ne termine, l’air se plia devant elle. Comme une feuille de papier qu’on tord, l’espace s’écrasa sur lui-même, formant un cercle ondulant aux reflets violets.

— On retourne là-bas. Maintenant. Et tu viens avec moi.

— Tss… J’aurais préféré prendre une douche, marmonna Hiro en se levant.

Ils franchirent le portail.

Ils atterrirent sur les restes carbonisés de ce qui avait été la cour.

Des flammes dansaient sur les murs, des cadavres fumaient encore, et les cris des survivants se mêlaient aux rugissements de trois colosses monstrueux qui poursuivaient leur carnage.

Kohaku recula d’un pas, choquée.

— Qu’est-ce que...

Puis elle vit. Au milieu du chaos, entouré de sang et de gravats, se tenait Kubira.

Il avait la main sur sa cuisse blessée, mais se battait encore, repoussant les monstres avec des arcs électriques qui jaillissaient de ses bras comme des fouets.

— KUBIRA ?! hurla Kohaku. Le gardien de l’école ?! C’est TOI ?!

Hiro la rejoignit, aussi surpris qu’elle.

— Il nous a toujours dit qu’il ne pouvait pas venir s’entraîner parce qu’il avait "quelque chose à faire"…

— Le menteur ! explosa Kohaku. Il était en train de sauver une école et il nous l’a caché ?!

Kubira tourna brièvement la tête. Un petit sourire fatigué se dessina sur ses lèvres.

— Content de vous voir…

Mais il n’y avait pas de temps pour les reproches. Un monstre repéra les nouveaux arrivants, poussa un rugissement, et chargea.

— ON ARRIVE, cria Kohaku.

Elle créa instantanément une faille dans l’air et disparut.

Elle réapparut juste devant la créature, lame en main, et frappa d’un arc net. Le coup ouvrit la chair noire du géant, qui recula en hurlant.

Hiro bondit à son tour, rejoignant un petit groupe d’élèves terrifiés — les derniers survivants.

— Il reste combien ?! cria-t-il à l’un d’eux.

— Trente ! hurla un garçon. Sans compter la fille et le mec que le prof protège !

— Ok. Je m’occupe de vous.

Hiro se plaça devant eux, bras écartés, prêt à encaisser. C’était lui maintenant, le mur entre les survivants et l’enfer.

Mais même à trois, le combat restait déséquilibré.

Les monstres étaient plus rapides 9qu’avant. Plus agressifs. Et pour chacun qu’ils ralentissaient, un autre revenait à la charge.

Dans les minutes qui suivirent, cinq élèves tombèrent. Un écrasé. Deux empalés. Un autre happé et déchiqueté.

Keita, toujours en retrait, regardait sans pouvoir bouger. Chaque hurlement, chaque mort, chaque explosion résonnait dans sa tête comme un coup de marteau.

Et toujours, Kael était là.

Il frappait. Il bloquait. Il écrasait.

Mais il ne quittait jamais Keita des yeux.

Dès qu’un tentacule s’approchait de lui, il interceptait. Dès qu’un monstre tournait la tête vers lui, il attaquait.

Même Yuna commençait à comprendre. Il protégeait Keita plus que tout le reste.

Pourquoi ? Elle n’en savait rien. Mais ça ne pouvait plus être un hasard.

Le sol vibrait à chaque pas des géants. Des pans entiers du mur d’enceinte s’effondraient.

Les élèves survivants s’étaient regroupés autour d’Hiro, mais leurs visages étaient pâles, les yeux écarquillés d’horreur.

— On n’y arrivera pas comme ça, gronda Hiro.

Kubira, genoux fléchis, les bras parcourus de décharges instables, jeta un regard à Kohaku.

— Tu penses à ce que je pense ?

Elle acquiesça, le visage fermé.

— On n’a plus le choix.

Hiro soupira.

— Vous êtes sérieux ? On a dit qu’on testait ça qu’en dernier recours.

— C’est maintenant ou jamais, lâcha Kubira.

Ils se positionnèrent. Kohaku ouvrit une faille ovale à gauche d’un des géants. Kubira courut droit vers l’ennemi, les bras électrifiés. Il bondit dans le portail, réapparut derrière la nuque de la créature… et planta ses deux bras comme des pieux, déversant toute son électricité directement dans la colonne vertébrale.

Le monstre hurla.

Hiro fonça à son tour. Kohaku ouvrit une deuxième faille à mi-hauteur du monstre, et Hiro réapparut en plein vol, poing armé.

Un coup direct dans le dos de la tête.

Le choc fut brutal. L’électricité encore présente dans le corps du géant explosa de l’intérieur. Son crâne éclata dans un vacarme sourd. Il chancela… et tomba.

Mort.

Mais les trois combattants s’effondrèrent aussi.

Kubira n’avait presque plus d’énergie. Hiro s’était fracturé le poignet. Kohaku, à genoux, saignait du nez à force de manipuler trop de portails à la suite.

— C’était notre seule chance, souffla-t-elle.

Mais les deux autres géants rugirent en réponse.

Et cette fois, ils attaquèrent ensemble.

L’un visa Kael. L’autre fonça droit vers Hiro et Yuna.

Keita regardait, immobile. Le cœur au bord de l’explosion.

Le bras de Kael s’envola.

Un craquement monstrueux, un coup d’épaule, un bruit d’os broyés. Le professeur vola en arrière, son bras gauche arraché, mais aucune goutte de sang ne coula.

Il roula au sol… puis se releva. Lentement. Comme si de rien n’était.

Keita, choqué, recula d’un pas.

— Il… il saigne pas…

Kael ignora la douleur. Il se plaça entre Keita et le géant, une fois encore.

Pendant ce temps, Hiro tenta de défendre Yuna, mais le monstre était trop rapide. Il balaya un groupe d’élèves avec son pied.

Deux furent écrasés sur le mur.

Un autre fut projeté contre les débris… et empalé par une barre métallique.

Yuna hurla.

Un quatrième, en courant, tomba et fut piétiné sans que le géant ne le remarque.

Cinq morts.

— Repliez-vous ! cria Hiro. Restez groupés !

Mais un sixième élève tenta de fuir seul. Le géant l’attrapa d’une main, le regarda un instant… puis l’écrasa contre le sol. Un bruit sourd, puis plus rien.

Un septième, blessé à la jambe, fut laissé derrière. Il hurlait à l’aide. Personne ne revint.

Le monstre s’en approcha lentement… et l’écrasa comme une mouche.

Kael respirait fort. Il ne bougeait plus. Il fixait les deux monstres restants.

Hiro, essoufflé, se plaça à ses côtés.

— On va pas y arriver… dit-il.

Kael tourna lentement la tête vers lui. Son visage restait impassible. Mais sa voix, grave, perça le chaos.

— Je te dirai pourquoi je protège Keita... quand tout ça sera terminé.

Puis il fixa les géants, encore debout.

Le combat n’était pas fini.Mais l’espoir, lui, semblait déjà loin.

Les monstres rugissaient.

Leurs poings détruisaient, leurs pas écrasaient.

Les survivants n’étaient plus que l’ombre de ce qu’ils avaient été.

Hiro haletait, tenant Yuna d’un bras et protégeant trois élèves terrifiés de l’autre. Keita restait figé près de Kael, dont le bras gauche manquait toujours. Le sang ne coulait pas, mais le corps semblait plus lent. Plus fragile.

Soudain, le ciel s’ouvrit.

Ou plutôt, quelque chose traversa les nuages comme une comète.

Une silhouette fendit l’air, frappa le sol à une vitesse si fulgurante que même les géants reculèrent.

Il se redressa lentement.

— Vous avez tenu plus longtemps que prévu, dit-il d’une voix posée.

C’était un homme grand, aux cheveux noirs plaqués, vêtu d’un long manteau blanc fendu sur les côtés. Son regard était d’un bleu électrique. À sa ceinture, aucune arme visible. Il n’en avait pas besoin.

Il s’appelait Oren.

Le plus rapide.

Et le plus puissant de tous.

À sa suite, trois autres arrivèrent par portails successifs :

— Narek, ténébreux, silhouette floue, capable de se glisser dans les ombres et de les manipuler à sa guise.

— Solan, yeux rouges flamboyants, lançant des rayons laser destructeurs depuis ses pupilles.

— Et Drav, une masse de muscle et de flammes, dont chaque respiration brûlait l’air.

— Le renfort est là ! lança Narek en souriant à Kubira.

— Trop tard, répondit Kohaku. Mais pas inutile.

Oren se téléporta sur le bras d’un géant.

Un seul coup.

Le bras explosa.

Il disparut, réapparut à hauteur du crâne.

Un deuxième coup.

Le géant hurla, trébucha, mais ne tomba pas.

Pendant ce temps Solan tira un rayon laser en plein torse d’un autre colosse. Le géant recula, brûlé, mais écrasa un élève en tombant.

Drav projeta une vague de feu en arc de cercle, faisant reculer deux monstres à la fois. Il sauva un groupe d’élèves… sauf une fille qui n’avait pas suivi.

Elle brûla vive.

Narek s’infiltra dans l’ombre d’un géant, tenta d’immobiliser ses jambes…

mais la bête tourna sur elle-même et l’écrasa d’un coup de genou.

Le sang jaillit. Narek fut coupé en deux.

Drav, trop proche d’un monstre, se fit percuter par une main entière.

Il tomba, les côtes brisées, puis fut frappé au sol à répétition jusqu’à ce qu’il ne bouge plus.

Solan, en voulant protéger Hiro, se plaça devant lui et tira en continu.

Un géant tomba à genoux… mais un second le transperça d’un doigt comme une lance.

Le laser s’éteignit dans ses yeux.

Un élève tenta de fuir par les ruines : fauché par une mainUne autre, prise de panique, se jeta dans un brasierTrois furent écrasés pendant que Kael tentait de se releverUn garçon hurlait : “Je veux rentrer !” avant de se faire réduire en miettesUne fille cachée sous un bus fut repérée… et mangée

Hiro les compte. Un par un.

Il murmure à voix basse, brisé :

— … quatorze… quinze… seize… dix-huit…

Il serre les dents. Ses yeux sont rouges. Il n’en peut plus.

Oren, essoufflé, se tenait debout. Il avait réussi à faire fuir un des monstres restants, blessé. L’autre reculait.

Mais Kael, lui, tomba à genoux.

— Professeur ! cria Yuna.

Il leva une main… vers Hiro.

— Hiro… C’est le moment.

— Le moment de quoi ?

Kael fixa Keita.

— Tu dois comprendre… pourquoi je le protège.