chapitre 6

Le poids de la survie

Un grondement sourd secoua l'air, comme un rappel du cauchemar dans lequel ils se trouvaient tous piégés. Le monstre n'était plus une entité identifiable. Il était devenu une masse informe, croisement d'abomination et de fureur, dont les tentacules tranchés n'avaient fait que renforcer l'agressivité. Cinq membres manquaient à présent, et chacun avait laissé une lésion à vif, suintant un fluide noir qui semblait vibrer d'une énergie néfaste. Il restait six bras, plus épais, plus nerveux, plus précis.

Le ciel s'était teinté d'un gris maladif. Les ruines fumantes de la ville émettaient encore des gémissements lointains. Au centre du champ de bataille, vingt survivants se tenaient debout.

Ils avaient tous changé.

Leur souffle était plus court, leur regard plus net. Ils ne portaient pas encore le poids de la guerre, mais la conscience d'être vivants les tenait debout, droits, obstinés.

Oren fut le premier à avancer. Ses pas créaient de fines secousses à chaque fois qu'il frappait le sol. Sa vitesse ne tenait plus du déplacement, mais de la compression de l'espace autour de lui. Kubira et Kohaku à ses côtés, Hiro juste derrière.

— On le garde au sol, dit Oren. Il n'est pas fait pour être statique.

— Il n'est pas fait pour exister, corrigea Kohaku.

Ils bondirent.

Le choc fut foudroyant. Trois tentacules s'abattirent, chacun visant un point précis. Kohaku ouvrit un portail juste à temps, projetant Hiro sur le flanc gauche du monstre. Kubira libéra une gerbe d'éclairs pour forcer une ouverture. Mais même ainsi, le monstre ne recula pas. Il ploya, rugit, mais frappa encore, et encore.

Derriere eux, les éveillés s'organisaient. Keita, au centre, les yeux toujours dépourvus de pupilles, dirigeait sans commander. Son regard flottait entre la rage et l'angoisse. Son corps était prêt, mais il savait... Il savait qu'il ne serait jamais Kael.

Yuna le suivait des yeux, inquiète.

— Tu trembles, dit-elle doucement.

— Je sais. Mais je dois y aller.

— Reviens vivant. C'est tout ce que je demande.

Il hocha la tête. Et partit.

Keita bondit à son tour, suivit par Malik, qui alourdit l'air autour d'un des tentacules pour ralentir sa descente. Soojin étendit un champ de ralentissement. Dans cette bulle suspendue, Keita planta ses doigts dans la chair gluante du bras de la créature. Tobias, déjà en place, y colla ses mains. La matière vibra, craqua, se décomposa.

Mais le monstre riposta.

Un tentacule balaya le sol. Kwame intercepta la vibration avec une onde sonore concentrée. Il amortit l'impact, mais fut projeté en arrière. Ayra rattrapa son corps juste à temps avec une vague de racines.

— On tient, cria Dayo. On tient encore !

Izel, la peau durcie, grimpa sur l'échine du monstre et planta deux lames de roche dans les tissus. Rhan, à distance, solidifia l'air pour créer une plateforme que Keita utilisa pour bondir plus haut. Il frappa, sans force, mais avec espoir.

Deux tentacules furent cloués au sol. Mais pas tranchés.

Le monstre hurla. Son souffle déchira l'air.

Il tenta de se relever, mais Lima figea le sol sous lui avec une banquise soudaine. Des pics jaillirent, enfermant sa base dans un écrin glacé. Ezra se mit à tourner autour, si vite qu'on n'en voyait plus que des ombres rouges.

Et pourtant, malgré tout cela, la créature survivait.

Mieux. Elle s'adaptait.

Ses bras restants s'étirèrent, devinrent plus fins, plus souples. Ils n'étaient plus des masses à écraser, mais des fouets à lacérer.

Un coup fila droit vers Soojin. Elle n'eut pas le temps de réagir. Mais Rhan bloqua le bras en formant un cube d'air dur. Le tentacule se vrilla, contourna, mais fut piégé par des illusions de Vahl.

Ils survivaient. Chaque seconde était volée à la mort.

Puis Keita tomba à genoux.

— Je... je ne tiendrai pas longtemps. Je sens qu'il revient.

Yuna accourut, le soutint.

— Repose-toi. Tu n'as pas besoin de tout porter.

— Il est là, murmura Keita. Il bouge, en moi. Il veut... reprendre.

Oren s'approcha, le regard fixé sur le monstre.

— Il faudra qu'on le touche tous ensemble. Une attaque groupée. Mais pas maintenant. Pas encore.

La bête rugit. Une mèche de feu jaillit de sa gueule. Une attaque inédite. Tenna se jeta en travers pour protéger Tobias et fut brûlée, mais vivante. Sa peau fumait. Elle soignait encore.

Ils reculèrent.Pas une retraite. Une réorganisation.Car ils savaient : le prochain coup serait décisif. Pas pour la victoire. Mais pour ne pas mourir.Ils survivraient. Coûte que coûte.Et alors seulement, ils pourraient tuer.