Un bruit. Puis un souffle. Puis... l'horreur.
Elle surgit des ombres comme un cauchemar incarné, en silence, rampant sur quatre pattes tordues et écarlates, son corps couvert d'une membrane suintante semblable à une chair écorchée. Son dos se courbait en arches brisées, et son ventre effleurait la roche comme un ventre de bête affamée. Ses yeux, multiples et entiers, pourpres et luminescents, luisaient dans la pénombre comme des pierres maudites, vrillant l'âme de ceux qui osaient les regarder. Sa gueule... n'était pas une gueule.
C'était un cercle, un orifice béant qui s'ouvrait comme une corolle inversée, tapissée de dents fines, longues, vrillées, qui tournaient sur elles-mêmes en spirales carnassières.
Le sang coulait déjà de cette bouche comme un nectar chaud, gluant, d'un rouge presque noir. Ethan resta figé, les yeux écarquillés, le souffle coupé.
— « C'est quoi... ça ?! »
Son corps réagit avant son esprit. Il pivota, dérapa, courut. Il ne regardait plus. Il fuyait. Ses pas heurtaient la roche, glissaient sur l'humidité, guidés uniquement par l'instinct. Mais à peine eut-il le temps de faire deux pas...
SLASH.
Un bruit tranchant, net. Un éclair de douleur. Et son monde bascula.
Il tomba en avant, son épaule heurtant violemment le sol rocailleux. Il voulut se redresser. Mais... Quelque chose manquait. Son bras droit. Il n'était plus là.
— « AAAAAAAAAH !! »
Un hurlement, inhumain, déchiré. Le cri d'un être confronté à une vérité brutale sa propre chair venait d'être arrachée. Le sang jaillit en gerbes éclatantes, giclant par à-coups à mesure que son cœur battait la panique. L'humidité de la caverne se teinta aussitôt de pourpre. La brume elle-même semblait s'imprégner de la souffrance.
Ethan s'effondra sur les genoux, le regard rivé à ce moignon sanglant, palpitant d'une douleur brute. À quelques mètres de lui gisait son bras droit, son propre membre, arraché comme un jouet, les doigts encore crispés dans une agonie absurde, comme s'ils tentaient de rejoindre le reste du corps. Sa conscience vacillait.
Chaque nerf hurlait. Chaque cellule brûlait. Et il n'y avait plus de place pour autre chose. Il cria encore, et encore, jusqu'à ce que sa voix devienne râle, que sa gorge saigne de trop hurler, que ses larmes brouillent tout ce qu'il croyait encore pouvoir voir. Et pourtant, malgré tout... La créature avançait. Lentement. Inexorable.
Ses pattes griffues traçaient des sillons sur la pierre, raclant le sol avec un bruit de râpe humide. Une traînée noire, presque huileuse, s'étendait derrière elle. Sa gueule béante frémissait, les dents circulaires vibrant d'excitation. On aurait dit une fleur de mort prête à refermer ses pétales tranchants. Elle respirait. Elle le reniflait. Et elle aimait son odeur.
Ethan, suffoquant, tomba sur le dos. Il plaqua sa main valide sur la plaie béante, essayant vainement de stopper l'hémorragie, ses jambes battant le sol comme s'il pouvait encore fuir.
— « Non non non non non... ! »
Mais la bête bondit. Un claquement sourd. Une gueule béante. Une fin inévitable.
Jusqu'à ce que...
BOOM.
Une explosion de lumière éclata dans la pénombre. Éclat doré, brûlant, ancien.
Un symbole s'inscrivit dans l'air, juste devant lui, comme une rune de feu traçant son sillage à travers l'ombre. Les lignes dansaient, se superposaient, jusqu'à former un cercle parfait, orné de signes inconnus. Le temps... s'arrêta.
La créature, figée dans son saut, suspendue dans l'air. Le sang, figé dans sa chute. Même l'air ne bougeait plus. Même la douleur semblait en pause. Un silence absolu.
Puis... une voix familière. Celle qu'il avait entendue dans le vide. Celle du Système.
Plus claire. Plus affirmée. Plus... présente.
« Activation forcée.
Compétence : Échange équivalent. »
« Calcul en cours... Blessures mortelles détectées. Calcul en cours... »
La voix, froide et inhumaine, résonna dans un coin reculé de son esprit. Mais le monde, lui, venait de reprendre sa marche cruelle. Le temps se remit à couler. Et la chose tomba sur lui.
Ethan fut écrasé contre la pierre, la gueule circulaire de la créature désormais à quelques centimètres de son visage. Elle puait le sang frais et la viande chaude. Son souffle était une exhalation moite, fétide, saturée de chair digérée. Elle détourna lentement la tête... et ses yeux pourpres se fixèrent sur le bras droit tranché, toujours au sol. Sans attendre, une de ses pattes griffues l'attrapa, et dans un claquement immonde, elle l'engloutit d'un seul coup. Ethan voulut hurler, mais aucun son ne sortit. La gorge serrée. Les yeux fous. L'horreur dépassait les mots.
Puis, la langue du monstre, une liane charnue et visqueuse, surgit de sa gueule. Elle s'enroula autour de la jambe gauche d'Ethan et le traîna brutalement vers sa gueule ouverte.
— « Non... non non non » Trop tard. La jambe entra jusqu'à la cuisse.
CRACK.
Un bruit sec. Des os brisés. Des tendons arrachés. La chair déchirée. Il s'effondra à nouveau. Il n'avait plus de jambe.
La douleur... Elle n'était plus humaine. Elle était cosmique. Un orage nerveux. Une agonie infinie. Elle l'envahissait, le noyait, l'éventrait de l'intérieur. Cette créature... elle jouait avec lui.
« Calcul en cours... »
Encore cette voix. Lointaine. Implacable. Et insupportablement lente. Ethan, le souffle haché, les muscles détruits, tenta de ramper. Un réflexe de survie. Il n'avait plus de force. Plus de logique. Juste l'envie furieuse, désespérée, de fuir. Et soudain... il les vit.
Des bottes. De cuir noir, usées, tachées de poussière et de sang. Immobiles. Il leva les yeux. Un homme se dressait devant lui. Une montagne de muscles, aux épaules larges, une hache colossale plantée dans son dos. Il portait une armure de cuir cloutée et une cape déchirée flottait derrière lui.
— « Voilà donc d'où venait le cri... » gronda-t-il, la voix rocailleuse.
Son regard se posa sur la bête. Aucune peur. Juste un mépris glacé.
— « Les gars ! Attention, un Ravageur ! »
Trois autres hommes sortirent des ténèbres. Deux guerriers et un mage. Celui-ci, vêtu d'une tunique de cuir souple, les mains gantées, approcha en hâte.
— « Il faut le soigner, il va se vider de son sang ! »
Mais le géant à la hache secoua la tête.
— « Pas le temps. Et de toute façon... il ne survivra pas ici. »
Sans un mot de plus, il se mit en garde. Les trois compagnons chargèrent. Ethan voulut appeler. Alerter. Implorer. Mais plus aucun son ne sortait. Sa gorge n'était plus que râle.
Il se noyait dans sa propre douleur. Dans son propre sang.
Le Ravageur, désormais nommé, ne semblait pas troublé. Il continuait de mâchonner les restes sanglants, sa gueule dégoulinante vibrant de plaisir obscène. Ses yeux pourpres tournaient frénétiquement dans toutes les directions. L'excitation suintait de lui.
« CALCUL EN COURS... »
La voix, toujours là. Si proche. Si lointaine. Comme si elle venait d'un autre monde. Ethan gisait au sol. Son bras. Sa jambe. Tout avait disparu. Sa vision se brouillait. Il grattait le sol, encore, toujours, avec ses doigts ensanglantés. Ramper. Respirer. Vivre.
— Bouge, putain... Bouge !
Un choc brutal retentit. Un rugissement. Le cri du Ravageur.
Puis le fracas d'un membre tranché. La hache avait frappé.
L'un des avant-bras du monstre vola en l'air, dans une gerbe de sang noir qui éclaboussa les parois. Le colosse se tenait droit, le regard impassible, les pieds ancrés dans la pierre.
— « Tenez la ligne ! Boucliers ! »
Les deux lanciers s'élancèrent, brandissant leurs armes gravées de runes. Le mage, derrière, traça un cercle dans l'air, une lueur bleutée jaillissant de son bâton.
Mais le Ravageur, vif comme une vipère, contre-attaqua. Un bond. Une griffe. Et la gorge de l'un des lanciers fut tranchée net. Le sang gicla comme une pluie maudite. Une partie éclaboussa Ethan en plein visage. L'homme s'effondra. Les yeux encore ouverts.
Ethan ne cria pas. Il ne pouvait plus. Mais son esprit... refusait de s'éteindre. Pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi comme ça ? Et alors...
« Échange équivalent prêt.
Confirmation nécessaire. »
Quelque chose s'éveilla. Une chaleur dans sa poitrine. Un frisson. Une voix. Une promesse.
— « Qu'est-ce que... c'est ? Je peux... je peux vivre ? »
« Échange équivalent :
Soins immédiats contre votre nom. »
Une aura verte, d'un éclat irréel, entoura son corps. Douce. Puissante. Impossible à décrire. Et alors... son bras repoussa. Sa jambe repoussa. La chair se reforma. Les os se recréèrent. Les nerfs se reconnectèrent. Une régénération absolue, comme si les lois du vivant elles-mêmes s'étaient inclinées devant une force supérieure.
« Soins effectués.
Suppression du nom Ethan Auniday de l'ordre universel. »
Un vide s'ouvrit en lui. Un gouffre. Une absence. Il n'était plus. Et pourtant... il vivait.
Sans comprendre ce qui venait de se passer, sans même avoir le temps d'y penser, il se redressa difficilement. Le souffle court. L'adrénaline brûlait dans ses veines. Son corps, encore tremblant, se mit en mouvement. Fuir. Il fallait fuir. Il se retourna et courut à l'aveugle.
Derrière lui, un nouveau cri. Le deuxième lancier, celui au bouclier, venait de se faire décapiter. Sa tête roula sur le sol. Son corps s'effondra, secoué de spasmes. Leur groupe... était en train de se faire décimer.