Chapitre 5 - Bienvenue, héros...

Il soupira longuement, la tête entre les mains.

— « Me voilà... isekai, comme dans un putain de manga. Le rêve... Ouais, mon œil. »

Sa voix, basse, n'était adressée à personne. Juste un murmure dans le chaos d'un esprit égaré. Ironie. Fatigue. Un brin d'humour amer, pour ne pas sombrer.

Puis, un cri. Clair. Aigu. Humain. Et jeune. Il se redressa d'un bond.

— « Voilà mon moment de gloire ! Mes débuts en tant que héros dans un monde de fantasy ! »

Il y crut. Juste une seconde. Et cela lui suffit pour courir. Les pavés résonnaient sous ses pas, chaque impact douloureux mais ignoré. Il bouscula un vieil homme qui grogna, évita de justesse une charrette grinçante chargée de foin, s'élança sans réfléchir, guidé par une pulsion d'instinct brut. Pas la peur. Pas le courage. Juste... le réflexe.

Une équation apprise dans les rêves de gosse. Un cri, une victime, une chance. Une chance de faire le bien. Il n'avait ni arme, ni armure. Seulement son corps rafistolé, douloureux, encore mal maîtrisé. Mais il courait. Et il tourna dans une ruelle. Et il la vit.

Une gamine. Huit, neuf ans peut-être. Le visage crasseux, les yeux gonflés de larmes. Elle hurlait, se débattait. Ses genoux étaient écorchés, ses haillons couverts de suie. Deux hommes la tiraient violemment par les bras. Des brutes. L'une, massive, vêtue d'une tunique de toile râpée, puant le cuir mal tanné, le regard fuyant.

L'autre, chauve, plus sec, affichait un rictus dégoulinant de dents pourries et d'intention abjecte.

— « Arrête de gigoter, p'tite chienne. On va juste t'amener à la Confrérie, t'sais ? Ils aiment bien les sales gosses comme toi... »

Elle hurla encore. Elle griffait. Elle se débattait. Elle ne comprenait pas ce qui l'attendait. Et peut-être valait-il mieux pour elle qu'elle ne sache pas. Ethan s'arrêta net. Le monde tourna une seconde. Un frisson. Un vertige. Le sang lui monta à la tête. Ses doigts tremblèrent. Il sentit un battement profond. Il n'avait pas de nom. Pas d'histoire. Pas d'identité. Mais il savait ce qu'il devait faire. Il bondit.

— « LÂCHEZ-LA ! »

Un cri. Franc. Brutal. Résonnant comme un ordre. Les deux hommes sursautèrent. Celui au sourire fendu lâcha le bras de la fille, qui s'écroula au sol et se mit à ramper loin d'eux, les mains tremblantes. Elle sanglotait, mais ne criait plus. Elle avait vidé tout l'air qu'elle avait. Le grand, lentement, se tourna vers Ethan. Ses yeux étaient ternes, mais mauvais. Il plissa les paupières.

— « Qu'est-ce que tu veux, déchet ? »

Il cracha au sol, s'approchant d'un pas.

— « Tu veux qu'on t'arrange la face comme ta jambe, mendiant ? »

Ethan ne répondit pas. Ses poings se serrèrent. Il se mit en garde.

Les pieds bien ancrés au sol, le buste légèrement de biais, les poings levés.

La garde de boxe. Celle qu'il avait répétée des centaines de fois. Celle qu'il connaissait mieux que sa propre respiration. Le plus mince des deux agresseurs s'approcha, ricanant, persuadé d'écraser un mendiant sans nom. Erreur.

PAF.

Un crochet du droit, sec, précis. Le bruit de l'impact fut net. La tête de l'homme pivota violemment. Son corps suivit, désarticulé, s'écrasant au sol comme un sac de viande.

K.O.

Le plus grand cligna des yeux, surpris. Puis grogna.

— « Putain... espèce de minable. »

Il jeta un dernier regard à son camarade au sol.

— « Ça n'en vaut pas la peine. »

Et il tourna les talons, disparaissant sans un mot de plus, abandonnant son collègue étendu dans la crasse. Le silence retomba.

Ethan souffla, un demi-sourire en coin.

— « Plus simple que prévu... »

Il se tourna vers la fillette. Elle était encore recroquevillée, le visage sali de suie et de larmes, les bras enroulés autour de ses genoux. Sa poitrine tremblait. Ses yeux fuyaient les siens. Il s'avança doucement. Lentement. Puis, à genoux, lui tendit la main.

— « Tout va bien maintenant. »

SLASH.

— « Hein... ? »

Le mot s'étrangla dans sa gorge. Il baissa les yeux. Un poignard rouillé. Enfoncé dans son ventre. Par elle. Dans ses mains. La gamine. Ses petits doigts, crispés, tenaient encore le manche de la lame. Elle tremblait. Mais elle l'avait fait. Un silence absolu tomba autour de lui. Le monde se figea. Une chaleur soudaine irradia son ventre. Une pression. Puis... la douleur. Pas vive. Pas tranchante. Lente. Engluée. Incompréhensible. Il cligna des yeux. Son regard croisa celui de la fillette. Ses yeux, humides, cernés, ne trahissaient aucune haine. Rien qu'un vide... et un calcul. Elle hésita une demi-seconde. Puis elle retira la lame. D'un coup sec. Le sang jaillit aussitôt, épais, chaud, rouge foncé, éclaboussant sa tunique déchirée, coulant le long de son ventre, se mêlant à la crasse du sol pavé.

— « Hein... ? »

Ce fut tout ce qu'il parvint à dire. La fillette se redressa, les bras repliés, le poignard serré contre elle. Et sans un mot, sans un regard en arrière, elle s'enfuit. Pieds nus. Rapide. Précise. Comme si elle avait déjà fait ça. Elle disparut dans la foule.

Personne ne s'arrêta. Personne ne cria. Personne ne l'aida. La ville continuait de vivre. Ethan chancela. Une main se pressa contre sa blessure, chaude, gluante, douloureuse. Il tenta de rester debout. Ses jambes tremblaient. Ses os semblaient s'effondrer. Il tomba à genoux.

— « Elle... elle m'a... »

Ses mots se perdirent dans sa gorge. Sa vue se brouilla. La rue ondulait. Les visages se déformaient. Les bruits se vidaient de leur sens. Il tomba à plat ventre. La pierre contre sa joue. Le sang sous lui. Le néant au-dessus. Et alors que son esprit sombrait lentement dans l'obscurité, une dernière pensée s'imposa, froide, ironique, amère.

« Bienvenue, héros... »